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— C’est un cheval au galop, répondit la fermière, sans comprendre pourquoi ce bruit faisait sur son maître une si forte impression.

— Pauvre fou ! dit le jeune homme en soupirant et avec un triste sourire, que me fait en effet un cheval qui passe au galop ?

— Voyez, voyez, il entre dans l’avenue ! s’écria la fermière avec une émotion croissante. Mon Dieu, c’est un messager qui apporte des nouvelles, bien sûr ! Puissent-elles être bonnes !

En effet, le cavalier franchit la porte au grand galop, et arrêta sa monture dès qu’il vit le jeune homme et la fermière se précipiter vers lui. Il mit pied à terre, et tendit une lettre au maître du Grinselhof en disant : — Monsieur Denecker, je viens de la part de M. le notaire, qui m’a chargé de vous apporter cette lettre sans reprendre haleine. — Puis il emmena vers l’écurie son cheval fumant de sueur.

M. Denecker brisa d’une main tremblante le cachet de la lettre, tandis que la fermière, souriante d’espoir et les yeux grands ouverts, suivait tous les mouvemens de son maître. À la lecture des premières lignes, M. Denecker pâlit horriblement. À mesure qu’il poursuivait, il se mit à trembler de tous ses membres, jusqu’à ce qu’enfin un rire égaré se peignit sur ses traits, et que, levant les mains au ciel, il s’écria : — Merci, mon Dieu ! elle m’est rendue !

— Monsieur, monsieur, s’écria la fermière, est-ce une bonne nouvelle ?

— Oui.., oui.., réjouissez-vous tous ! Lénora vit, je sais où elle est, je vais la chercher ! répondit M. Denecker, à demi fou de bonheur, courant vers la maison, appelant tous ses domestiques par leur nom, et leur disant précipitamment : — Allons, la voiture de voyage ! les chevaux anglais ! ma malle ! mon manteau ! Vite… volez !

Et se mettant lui-même à l’œuvre, il apporta dans la voiture qu’on avait tirée de la remise plusieurs objets nécessaires au voyage. Les chevaux furent attelés, et bien qu’ils creusassent la terre du pied comme des lions impatiens, et fussent tellement ardens qu’on eût dit qu’ils allaient broyer leur mors, on leur cingla impitoyablement les reins d’un vigoureux coup de fouet. La voiture, comme emportée par le vent, traversa la porte avec la rapidité d’une flèche, et souleva bientôt jusqu’au ciel la poussière de la route d’Anvers.


XI.

Nous aussi, voyageons en esprit, et transportons-nous en France, à Nancy, à la recherche de M. de Vlierbecke et de sa fille. Parcourons nombre de petites rues étroites du quartier dit la Vieille-Ville, et arrêtons-nous enfin devant une petite boutique de cordonnier. C’est ici. Traversez la boutique, montez l’escalier… Plus haut encore… Ouvrez cette petite porte.

Tout ici annonce l’indigence, bien qu’il y règne une netteté et une propreté exquises. Les rideaux du petit lit sont d’une blancheur de neige ; le poêle de fonte est soigneusement poli à la mine de plomb ; le sol est saupoudré de sable, à la mode flamande. Devant la fenêtre ouverte, des marguerites et des violettes fleurissent au soleil… À côté est suspendue une cage où est renfermé un pinson. Quel calme règne dans cette petite chambre ! Pas un souffle n’en trouble la paisible solitude. Cependant près de la fenêtre est assise une jeune fille ; mais elle est tellement occupée d’un travail de lingerie, qu’on ne