Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gustave avait écouté les premiers mots de cette tirade avec une impatience pénible ; mais bientôt il avait détourné les yeux du notaire pour songer à d’autres choses. Il se retourna tout à coup vers le notaire, interrompit son discours, et lui dit d’un ton bref : — C’est bien, vous faites votre devoir, je vous en remercie ; mais assez là-dessus. Dites-moi, à qui appartient le Grinselhof aujourd’hui ?

Le notaire parut plus ou moins déconcerté de l’interruption et du peu d’effet de ses conseils ; cependant il dissimula son dépit sous un malin sourire et répondit : — Je vois que monsieur a pris une ferme résolution ; qu’il fasse donc selon sa volonté. Le Grinselhof a été acheté par les créanciers hypothécaires, attendu qu’il est resté avec ses dépendances manifestement au-dessous de sa valeur.

— Qui l’habite ?

— Il est resté inhabité. On ne va pas à la campagne l’hiver.

— Ainsi on pourrait le racheter aux propriétaires ?

— Sans doute. Je suis même chargé de l’offrir de la main à la main pour le montant des hypothèques…

— Le Grinselhof m’appartient ! s’écria Gustave. Veuillez, monsieur le notaire, en donner immédiatement avis aux propriétaires.

— C’est bien, monsieur. Considérez dès maintenant le Grinselhof comme votre propriété. Si vous avez le désir de le visiter, vous trouverez les clefs chez le fermier.

Gustave prit son chapeau, et, se disposant à prendre congé du notaire, il lui serra la main avec une véritable amitié :

— Je suis las, j’ai besoin de repos ; mon âme a été trop fortement secouée par la triste nouvelle que vous m’avez apprise. Dieu vous aide, monsieur le notaire, et commencez sans retard à remplir votre promesse ; ma reconnaissance dépassera tout ce que vous pouvez imaginer. Adieu, à demain !


X.

Depuis longtemps déjà, le doux printemps a dépouillé la terre des voiles funèbres de l’hiver et rendu à toute la création une vie nouvelle et de nouvelles forces. Le Grinselhof aussi a repris toute la magnificence de sa sauvage et libre nature : les chênes majestueux déploient leur vaste dôme de verdure, les rosiers des Alpes sont en pleine floraison, le syringa charge l’air de senteurs parfumées, les oiseaux chantent joyeusement leurs amours, les hannetons volent en bourdonnant, le soleil rajeuni inonde de ses chauds rayons les teintes délicates de la végétation renaissante… Rien ne semble changé au Grinselhof : ses chemins sont toujours déserts, et morne le silence qui règne sous ses ombrages ; pourtant autour de l’habitation même, il y a plus de mouvement et de vie qu’autrefois. Deux domestiques y sont occupés à laver une belle voiture et à en enlever la poussière et la boue ; on entend dans l’écurie hennir et piétiner des chevaux. Une jeune servante, debout sur le seuil, rit et jase avec les domestiques.

Tout à coup le timbre clair et argentin d’une sonnette retentit dans l’intérieur de la maison ; la jeune fille rentre précipitamment en disant d’une