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— Monsieur, dit le notaire, je suppose qu’il s’agit d’un bienfait… Il ne pourrait en effet être mieux placé ; je sais comment M. de Vlierbecke a été poussé à sa ruine et ce qu’il a souffert. C’est une victime de sa générosité et de sa probité. Peut-être même a-t-il porté ces vertus jusqu’à l’imprudence et à la folie ; mais il n’en est pas moins certain qu’il méritait un meilleur sort.

— Eh bien ! monsieur le notaire, je voudrais que vous eussiez la bonté de me dire, avec les moindres détails, ce qu’il faudrait faire pour secourir M. de Vlierbecke sans blesser sa dignité. Je connais l’état de ses affaires ; mon oncle m’en a dit assez sur ce point. Il y a, entre autres dettes, une obligation de quatre mille francs au profit des héritiers de Hoogebaen. Je désire posséder sur-le-champ cette obligation, dussé-je la payer dix fois ce qu’elle vaut.

Le notaire regarda le jeune Denecker avec un étonnement visible et sans répondre. Gustave reprit avec anxiété : — pour quoi cette question vous déconcerte-t-elle ? Vous me faites trembler !

— Je ne comprends pas votre émotion, dit le notaire ; mais j’ai lieu de croire que la nouvelle que j’ai à vous apprendre vous affligera profondément. J’ose à peine parler. Si mes prévisions sont fondées, je vous plains à bon droit, monsieur.

— Que dites-vous, mon Dieu ? s’écria Gustave avec effroi. Expliquez-vous ; la mort a-t-elle visité le Grinselhof ? la seule espérance de ma vie est-elle anéantie ?

— Non, non ! dit le notaire avec précipitation, ne tremblez pas ainsi ; ils vivent tous deux, mais un grand malheur les a frappés…

— Eh bien !… dit le jeune homme en proie à une fiévreuse angoisse.

— Soyez calme, reprit le notaire. Asseyez-vous et écoutez, monsieur ; cela n’est pas aussi terrible que vous le pensez, puisque votre fortune vous permet, en tout cas, d’adoucir leur misère.

— Ah ! Dieu soit loué ! s’écria Gustave avec joie ; mais je vous en conjure, monsieur, hâtez-vous, rassurez-moi ; votre lenteur me met à la torture.

— Sachez donc que la lettre de change en question est échue pendant votre absence. M. de Vlierbecke a, durant plusieurs mois, fait d’inutiles efforts afin de trouver l’argent nécessaire pour y faire honneur. D’un autre côté, ses propriétés étaient grevées de rentes au service desquelles elles ne pouvaient suffire. Pour échapper à la honte d’une aliénation forcée, M. de Vlierbecke a fait exposer en vente publique tous ses biens et jusqu’à son mobilier. Le produit atteignit à peu près le montant des dettes ; chacun a été satisfait, grâce à la noble et loyale conduite de M. de Vlierbecke, qui s’est plongé dans la plus extrême misère pour faire honneur à son nom.

— Ainsi M. de Vlierbecke habite le château de sa famille à titre de locataire ?

— Pas du tout, il l’a quitté.

— Et quelle résidence a-t-il choisie ? Je veux le voir et lui parler aujourd’hui même.

— Je ne le sais pas.

— Comment ! vous ne le savez pas ?

— Personne ne le sait : ils ont quitté la province sans informer qui que ce soit de leurs projets.

— Ciel, que dites-vous ? s’écria Gustave dans une profonde consternation ; je serais forcé de vivre plus longtemps encore loin d’eux ? Ne pas savoir ce