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À peine avait-il prononcé ces paroles, qu’il rentra dans l’autre pièce. Il trouva tout le monde et même sa fille fondant en larmes ; — celle-ci s’était jetée au cou de la fermière, tandis que la servante portait en pleurant sa main à ses lèvres. Le gentilhomme comprit qu’il fallait mettre fin à cette pénible scène. Il dit à sa fille quelques paroles empreintes d’une mâle énergie, et Lénora parut s’éveiller d’un triste songe. Il y eut encore des serremens de mains fiévreux ; on échangea le dernier baiser d’adieu, après quoi le père et la fille, reprenant en main leur petit paquet, franchirent le pont du Grinselhof et entrèrent dans la bruyère. Longtemps les gens de la ferme les suivirent des yeux en pleurant, jusqu’à ce qu’ils eussent disparu derrière un massif de chênes.

M. de Vlierbecke avait suivi sans parler le chemin qui traversait la bruyère jusqu’à une hauteur au-delà de laquelle un bois épais de sapins masquait l’horizon. Il savait qu’aussitôt qu’il serait entré dans ce bois, le Grinselhof échapperait à ses regards. Il s’arrêta et se retourna lentement. Il contempla encore une fois ce lieu, berceau de ses ancêtres et de lui-même. Ce qui se passa en cet instant dans son âme dut être déchirant, car Lénora frémit en voyant l’altération de son visage. Cependant Elle ne se sentit pas la force de troubler cette douleur solennelle. Enfin deux grosses larmes coulèrent sur les joues du gentilhomme. Alors Lénora lui sauta au cou, essuya ces larmes sous des baisers, et l’entraina par la main en lui adressant mille paroles consolatrices. Bientôt ils disparurent dans le sentier tortueux qui s’enfonçait en serpentant dans les sombres profondeurs du bois.


IX

À peine M. de Vlierbecke était-il parti depuis huit jours, qu’il arriva d’Italie une lettre pour lui. Le facteur voulut savoir du fermier où l’ancien propriétaire du Grinselhof avait fixé sa demeure ; mais il ne put obtenir aucun renseignement sur ce point, personne ne sachant où M. de Vlierbecke et sa fille s’étaient rendus. Les informations prises auprès du notaire demeurèrent également sans résultat.

L’administration des postes mit au rebut cette première lettre, de même que trois ou quatre autres qui la suivirent, venant toujours d’Italie ; personne ne s’inquiéta davantage du sort du malheureux gentilhomme, à l’exception du seul fermier du Grinselhof, qui le vendredi, au marché, demandait toujours aux paysans des autres villages s’ils n’avaient pas vu son ancien maître ; mais personne ne pouvait lui en donner la moindre nouvelle.

Près de quatre mois s’étaient écoulés, lorsque, par une certaine matinée, une riche chaise de poste s’arrêta devant la maison du notaire. La portière s’ouvrit. Un jeune homme en habit de voyage s’élança de la voiture et entra précipitamment dans la maison. — Monsieur le notaire ? demanda-t-il d’une voix impatiente au domestique ; celui-ci s’excusa en disant que son maître ne serait visible que dans quelques instans. Il introduisit ensuite l’étranger dans une chambre, lui présenta un siège et le pria d’attendre un moment. Le jeune homme se montra très contrarié de ce retard et s’assit en murmurant. Son visage avait une expression de tristesse ; ses yeux se baissèrent