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à lui ou à sa fille. Lénora s’était rendue de bonne heure à la ferme, et y attendait que tout fut fini.

À dix heures, la salle où devait commencer la vente était remplie de monde. Des gentilshommes et de nobles dames s’y trouvaient mêlés aux fripiers et aux usuriers, que l’espoir de faire de bons marchés avait attirés de la ville ; il y avait des paysans discourant à voix basse et avec surprise sur la ruine de M. de Vliechecke, il y avait même des gens qui riaient à gorge déployée et s’égayaient par toutes sortes de plaisanteries en attendant que le notaire donnât lecture des conditions de la vente. Celle-ci commença une demi-heure après.

Le garde champêtre était debout sur une table à titre de crieur ; le notaire mettait à prix une belle armoire lorsque apparut M. de Vlierbecke lui-même, qui vint se placer près de la table aux enchères. Son apparition causa un mouvement général parmi les spectateurs ; les têtes se rapprochèrent, on chuchota ; on considérait le gentilhomme déchu avec une sorte de curiosité insolente à laquelle se mêlait chez quelques-uns des assistans un sentiment de pitié ; chez la plupart, on ne remarquait qu’indifférence et raillerie. Cette attitude malveillante de l’assemblée ne dura qu’un instant ; bientôt le ferme et imposant visage du gentilhomme inspira à tous le respect et l’admiration. Cependant le notaire continua la vente, aidé dans l’appréciation des objets par M. de Vlierbecke, qui donnait des renseignemens sur leur origine, leur antiquité et leur juste valeur.

De temps en temps, un gentilhomme ou l’autre du voisinage, qui s’était trouvé autrefois en relation avec le père de Lénora, s’approchait de lui pour lui parler de son malheur, mais il échappait par d’adroites réponses à ce consolations indiscrètes. Il s’exprimait si librement, il demeurait tellement maître de lui, qu’on ne trouvait pas l’occasion de lui témoigner une inutile compassion. Bien plus, il y avait dans son attitude et dans ses gestes quelque chose de si élevé et de si grand, qu’on ne le quittait pas sans une respectueuse émotion. Si le visage de M. de Vlierbecke était calme, si dans son regard brillait une invincible force d’âme et un haut sentiment de sa propre dignité, son cœur était déchiré par les plus cuisantes douleurs. Tout ce qui avait appartenu à ses ancêtres des objets qui portaient les armes de sa famille et qui depuis deux ou trois siècles y étaient religieusement conservés, tout cela, il le voyait, vendre à vil prix et passer dans les mains des usuriers. À mesure que ces reliques historiques apparaissaient sur la table, les annales de son illustre race se déroulaient sous les yeux du gentilhomme : cruelle épreuve où il lui semblait que chaque objet arrachait un souvenir de son cœur saignant…

La vente touchait à sa fin, lorsqu’on détacha du mur, pour les mettre aux enchères, les portraits des hommes éminens qui avaient porté le nom de Vlierbecke. Le premier, — celui du héros de Saint-Quentin, — fut adjugé à un vieux fripier pour un peu plus de trois francs ! Il y avait dans la vente de ce portrait et dans le prix dérisoire qu’on en avait donné une si amère ironie pour le gentilhomme, que, pour la première fois, le supplice qui torturait son âme se fit jour sur son visage. Il baissa la tête et s’abima dans de sombres et pénibles réflexions, après quoi il releva le front, et en proie à