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le devenir : une fois à Port-Royal, elle le devint de jour en jour davantage ; elle prit peu à peu l’esprit du lieu qu’elle habitait ; elle finit par être tout à fait janséniste, et elle attira au jansénisme toutes les âmes pieuses de sa connaissance.

Elle échoua sur sa meilleure amie, la comtesse de Maure, qui avait de la religion, mais sans excès, et qui était même un peu philosophe. Mlle de Vandy, qui pensait comme Mme de Maure, résista également. Mme de Choisy alla plus loin : pénétrant bien vite les côtés faibles du jansénisme, dès les premiers symptômes du changement de Mme de Sablé, elle se moqua d’elle et de ses nouveaux amis dans une lettre vive et sensée adressée à la comtesse de Maure. Cette lettre étant la seule que nous connaissions[1] de cette personne singulière, si considérable au XVIIe siècle, et peignant assez bien la tournure de son caractère et de son esprit, nous la donnons ici, en l’abrégeant un peu. Mme Cornuel appelait les jansénistes des importans spirituels, et on sait le mot de Bossuet sur les religieuses de Port-Royal : « pures comme des anges, orgueilleuses comme des démons. » Mme de Choisy, en badinant, dit quelque chose de tout cela.


« Décembre 1655[2].

« À l’exemple de l’amiral de Chastillon, je ne me décourage pas dans la mauvaise fortune. J’ai senti avec douleur la légèreté de Mme la marquise, qui, persuadée par les jansénistes, m’a osté l’amitié que les carmélites m’avoient procurée auprès d’elle. Je vous prie, madame, de lui dire de ma part que je lui conseille en amie de ne s’engager pas à dire qu’elle ne m’aime plus, parce que je suis assurée que, dans dix jours que je suis obligée d’aller loger à Luxembourg[3], je la ferai tourner casaque en ma faveur. Entrons en matière. Elle trouve donc mauvais que j’aye prononcé une sentence de rigueur contre M. Arnauld. Qu’elle quitte sa passion comme je fais la mienne, et voyons s’il est juste qu’un particulier, sans ordre du roy, sans bref du pape, sans caractère d’évêque ni de curé, se meste d’escrire incessamment pour réformer )a religion, et exciter par ce procédé-là des embarras dans les esprits qui ne font autre effet que de faire des libertins ou des impies. J’en parle comme savant, voyant combien les courtisans et les mondains sont détraqués depuis

  1. Voyez dans les Divers Portraits deux portraits de Mme de Choisy, l’un par Mme de Bregy sous le nom de Philis, l’autre par Mademoiselle elle-même sous le nom de la charmante exilée. Voyez aussi Segrais dans les Divertissemens de la princesse Aurélie. On n’a rien de Mme de Choisy que le portrait de la duchesse d’Épernon dans les Divers Portraits, p. 253. Tallemant, t. IV, p. 247, dit de Mme de Choisy : « Elle a été jolie, a de l’esprit et dit les choses plaisamment. »
  2. Manuscrits de Conrart, in-folio, t. XI, p. 279.
  3. Le mari de Mme de Choisy était chancelier du duc d’Orléans, qui était alors à Blois, mais dont les affaires se faisaient au Luxembourg. Mme de Choisy demeurait ordinairement dans son hôtel de la rue des Poulies, à côté de l’hôtel Longueville, et elle avait une charmante maison de campagne à Bas-le-Roi.