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Lénora avec une profonde mélancolie, et dépeignait la douleur qui remplirait son cœur en son absence. Pour la première fois, il vit couler des larmes des yeux de la jeune fille. Il fut tellement touché de cette preuve d’intime affection, qu’il prit silencieusement la main de Lénora et demeura longtemps assis à côté d’elle, sans prononcer une parole. Pendant ce temps, M. de Vlierbecke s’efforçait de le réconforter, mais ses paroles ne parurent pas atteindre le but désiré. Cependant, après s’être longtemps désolé, Gustave se leva tout à coup et prit congé de Lénora, quoique l’heure ordinaire de son départ n’eût pas sonné. La jeune fille lut sur son visage qu’une révolution venait de se produire dans son âme et vit son regard étinceler de courage et de joie ; elle s’efforça de le retenir et d’obtenir l’explication de cette joie subite, mais il se refusa doucement à satisfaire sa demande, disant que le lendemain seulement elle connaîtrait son secret, et quitta le Grinselhof à pas précipités, comme s’il eût été poursuivi par une pensée qui l’obsédait.

M. de Vlierbecke crut avoir lu dans les yeux du jeune homme ce qui s’était passé dans son cœur. Cette nuit-là, de beaux rêves adoucirent son sommeil.

Le lendemain, lorsque fut venue l’heure où Gustave arrivait d’ordinaire, le cœur du père de Lénora battit d’une attente pleine d’espoir. Bientôt il vit Gustave franchir la porte et se diriger vers la maison. Le jeune homme ne portait pas les habits d’étoffe légère qu’il avait d’habitude ; il était à peu près tout vêtu de noir, comme le jour où il était venu pour la première fois au Grinselhof. Un sourire de joie éclaira le visage du gentilhomme, tandis qu’il allait au-devant de lui ; cette toilette recherchée confirmait son espoir et lui disait qu’on venait tenter auprès de lui une démarche solennelle.

Gustave exprima le désir de se trouver seul avec lui pendant quelques instans. M, de Vlierbecke le conduisit dans un salon particulier, lui offrit un siège, s’assit lui-même en face du jeune homme, et lui dit avec un calme apparent, mais d’un ton très affectueux : — J’écoute, mon ami.

Gustave garda quelque temps le silence, comme pour recueillir ses idées ; puis il dit d’une voix émue, mais cependant décidée : — Monsieur de Vlierbecke, j’ose tenter auprès de vous une importante démarche ; votre extrême bonté me donne seule le courage nécessaire pour la faire, et quelle que soit la réponse que vous ferez à ma demande, j’espère que vous voudrez bien excuser ma témérité. Il ne vous aura pas échappé, monsieur, que, dès la première fois où j’eus le bonheur de voir Lénora, un irrésistible penchant m’entraîna vers elle : elle m’apparaissait comme un ange, elle est demeurée telle pour moi depuis. Peut-être, avant de laisser prendre à ce sentiment un si grand empire sur mon cœur, eussé-je dû vous demander votre assentiment ; mais je croyais voir dans votre prévenante amitié pour moi que vous aviez lu au fond de mon âme…

Le jeune homme se tut et attendit de la bouche du gentilhomme quelques mots d’encouragement ; celui-ci le regardait avec un sourire calme, mais qui n’exprimait pas cependant jusqu’à quel point les ouvertures du jeune homme lui agréaient. Un signe de la main, comme s’il eût voulu dire : continuez ! fut son seul mouvement. Gustave sentit toute sa résolution l’abandonner ; bientôt néanmoins, surmontant ses craintes, il reprit courage, il dit avec exaltation : — Oui, j’ai aimé Lénora dès que son regard s’est arrêté sur moi ; mais si une étincelle d’amour a surgi alors dans mon cœur, depuis