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plaisanterie, lorsqu’il voyait la conversation languir. Il faisait et disait des choses qui, bien que renfermées dans les limites d’une parfaite convenance, n’étaient cependant pas en harmonie avec son caractère sérieux et noble.

Déjà approchait le moment que M. Denecker avait fixé pour son départ. Le gentilhomme remerciait Dieu du fond du cœur qu’il lui eût permis de sortir de cette épineuse situation, lorsque le négociant cria tout à coup à son neveu :

— Hé ! Gustave, nous rentrons. Si tu veux boire avec nous le coup du départ, hâte-toi ; il est déjà cinq heures.

M. de Vlierbecke redevint pâle. Muet et visiblement effrayé, il regardait le négociant, qui s’efforçait en vain de comprendre l’effet de ses paroles, et qui cette fois ne dissimula pas son étonnement.

— Ne vous sentez-vous pas bien ? demanda-t-il.

— Mon estomac se contracte au seul mot de vin, bégaya M. de Vlierbecke. C’est une étrange indisposition.

Cependant une expression plus sereine vint tout à coup éclairer son visage, tandis qu’il désignait la porte du doigt en disant : — J’entends votre voiture dans l’avenue, monsieur Denecker !

En effet, la calèche entrait dans le Grinselhof.

Le négociant ne parla plus de vin. Il trouvait fort étrange que l’on parût se réjouir de son départ, et ce soupçon l’eût blessé à coup sûr, si, d’un autre côté, l’extrême affabilité et la cordiale réception du gentilhomme ne lui eussent persuadé le contraire. Il crut devoir attribuer la mystérieuse conduite de M. de Vlierbecke à une indisposition qu’il s’était peut-être efforcé de contenir et de dissimuler par politesse. M. Denecker serra donc la main du gentilhomme, et lui dit avec une sincère affection : — Monsieur de Vlierbecke, j’ai passé ici une délicieuse après-dînée. On se trouve vraiment heureux dans votre société et celle de votre charmante fille. Je suis infiniment satisfait d’avoir fait votre connaissance, et j’espère que des relations plus amples me vaudront toute votre amitié. En attendant, je vous remercie du fond du cœur du franc et excellent accueil que vous nous avez fait.

Gustave et Lénora s’étaient rapprochés. Le gentilhomme dit quelques mots d’excuse.

— Mon neveu, poursuivit le négociant, conviendra volontiers comme moi qu’il a eu dans sa vie peu d’heures aussi agréables que celles que nous venons de passer au Grinselhof. Vous me ferez l’honneur, monsieur de Vlierbecke, de venir, à votre tour, dîner chez moi avec votre charmante fille ; mais je dois vous demander pardon du retard que je mettrai à vous recevoir. Je pars pour Francfort après-demain pour affaires de commerce ; peut-être serai-je absent une couple de mois. Si, pendant ce temps, mon neveu vient vous rendre visite, j’espère qu’il sera toujours chez vous le bienvenu.

Le gentilhomme réitéra ses protestations d’amitié. Lénora se tut, bien que Gustave interrogeât son regard et parût réclamer d’elle aussi la permission du retour.

L’oncle se dirigea vers la voiture.

— Et le coup du départ ? demanda Gustave avec surprise….. Ah ! rentrons encore un instant !

— Non, non, dit M. Denecker en l’interrompant. Je comprends que, si on voulait l’écouter, nous ne partirions probablement jamais ; mais il est temps