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ait quelquefois puni des animaux pour des idées, des croyances ou des œuvres regardées comme surnaturelles. Le fait, tout incroyable qu’il paraisse, n’en est pas moins vrai, et, comme on va le voir, il s’explique encore par la tradition générale. Au XVIe siècle, un chien sorcier fut brûlé en Écosse, et en 1474 les magistrats de Bâle condamnaient encore pour sorcellerie un coq au supplice du feu. Il est difficile, on le voit, de pousser plus loin l’absurdité; ici encore pourtant, le fait était la conséquence logique de l’idée. On croyait en effet que la forme du chien était l’une de celles que prenait le plus ordinairement Satan quand il se manifestait sous des apparences sensibles; on croyait aussi que les sorciers, pour échapper à la justice, se métamorphosaient en chiens, et dès lors ce bizarre auto-da-fé n’a plus rien que de très rationnel, puisque c’était non pas un animal, mais le diable ou l’un de ses suppôts que l’on pensait brûler. Il en est de même du coq de Bâle; on l’accusait d’avoir pondu un œuf. Or les œufs de coq étaient fort recherchés pour les préparations magiques, surtout quand ils avaient été couvés par des femmes dans le pays des infidèles; mais ils étaient, on le conçoit, aussi difficiles à trouver que la pierre philosophale, et quand par hasard on s’imaginait en rencontrer un, on ne manquait pas de dire qu’il était produit par le diable : c’est pour cela que le coq de Bâle fut brûlé avec l’œuf qu’il avait pondu.

Les bêtes qui nuisent aux biens de la terre, tels que les limaçons, les mulots, les vers, ou celles qui, comme les chats et les rats, commettent des déprédations ou des larcins, tombaient, comme les truies, les chiens et les coqs, sous le coup de la justice civile ou criminelle. Un jurisconsulte du XVIe siècle, Chassanée, écrivit un traité spécial sur l’instruction et la poursuite de ces sortes d’affaires. Dans ce traité, il examine la formule des assignations, des jugemens ; il recherche si les animaux doivent être cités devant la justice séculière ou la justice ecclésiastique, si l’on peut légalement leur donner des défenseurs, si l’on peut présenter des excuses pour leur non-comparution, des moyens pour établir la non-culpabilité, et même des exceptions d’incompétence. Enfin il décide que le juge peut leur nommer un procureur d’office, et qu’on doit en tout agir à leur égard comme à l’égard des hommes. Chassanée eut personnellement l’occasion de mettre sa science en pratique. Voici à quel propos : les rats commettaient de grands ravages dans la ville d’Autun et les environs; les magistrats chargés de la police de cette ville jugèrent qu’il était urgent de se débarrasser de ces hôtes incommodes, et au lieu de mettre, comme on le fait de nos jours, leur tête à prix, ils les traduisirent en justice. L’affaire fut portée devant un tribunal ecclésiastique. Le promoteur ordonna que les accusés fussent cités devant lui, et Chassanée leur