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devinrent à la mode, et la paix des Pyrénées, le mariage de Louis XIV, les longues fêtes qui suivirent dans toute la France, étant venus animer et augmenter la passion générale pour les divertissemens des arts et des lettres, on se jeta en quelque sorte sur le genre nouveau que les Divers Portraits avaient mis en vogue. C’étaient de petites compositions qui semblaient faciles et qui étaient agréables à faire. La vanité y trouvait son compte, et à peu de frais. On s’occupait de soi et on en occupait les autres. Bien entendu on ne se maltraitait guère, et ce n’était pas par ses plus mauvais côtés qu’on se montrait. Les portraits se multiplièrent à Paris et dans les provinces ; ils descendirent du grand monde dans la bourgeoisie ; il y en eut d’excellens, il y en eut de médiocres et aussi de détestables, jusqu’à ce qu’en 1688 La Bruyère renouvela et éleva le genre, et, sous le nom de Caractères[1], au lieu de quelques individus, peignit son siècle et l’humanité[2].

    du Cyrus et de la Clélie. Dans cette même année 1659, les mêmes libraires publièrent une nouvelle édition du Recueil des portraits et éloges, sous le même titre et dans le même format, mais avec des additions très considérables, qui portent ce volume, dont l’impression est assez grosse et bien plus soignée que la précédente, à 912 pages. Il y a des exemplaires divisés en deux parties, avec des titres visiblement ajoutés ; mais, dans celui que nous avons sous les yeux, la pagination se suit. C’est là que pour la première fois se trouve un certain nombre de portraits excellens, tels que celui de la duchesse de Schomberg, surtout celui de La Rochefoucauld par lui-même ; mais ils sont en quelque sorte noyés dans une foule de portraits mal faits de personnes vulgaires. Enfin en 1663 Sercy réimprima ce Recueil en deux parties bien distinctes et en deux volumes in-12, avec ce long titre : La Galerie des Peintures ou Recueil des portraits et éloges en vers et en prose contenant les portraits du Roy, de la Reyne, des princes, princesses, duchesses, marquises, comtesses, et autres seigneurs et dames les plus illustres de France ; la plupart composés par eux-mêmes ; dédiée à Son Altesse Royale Mademoiselle. Cette Galerie des Peintures n’est autre chose que la troisième édition de 1659, avec quelques noms propres de plus et le portrait de Mazarin par Mme de Brégy. On ne sait pourquoi, dans les éditions venues après celle de Mademoiselle, le style de plusieurs portraits, par exemple du portrait de la comtesse de Maure, a été changé, et pas du tout en mieux.

  1. Ce nom de caractères n’est pas même une invention de La Bruyère ou un emprunt qu’il aurait fait à Théophraste. Il était déjà très répandu et en usage : on disait caractère pour portrait, et dans le second Recueil des portraits et éloges de 1659, p. 534 à 550, on trouve un nouveau Caractère de madame la comtesse d’Olonne, avec une lettre d’envoi où ce mot est répété : Lettre écrite à madame la comtesse d’Olonne en lui envoyant son CARACTÉRE. L’auteur dit à la comtesse : « Paraissez, madame, au milieu des portraits et des CARACTÈRES, et vous défaites toutes les images qu’on saurait donner de vous. »
  2. On a une clef de La Bruyère ; mais ici la plus grande circonspection est nécessaire, car non-seulement La Bruyère s’est servi souvent de plusieurs originaux, mais ces originaux n’ont été pour lui qu’une occasion, un point de départ, la matière d’une première esquisse, sur laquelle il a ensuite librement travaillé, sans consulter aucuns modèles particuliers et l’œil fixé sur un caractère général et abstrait que son pinceau énergique rendait aussi vivant, aussi réel qu’un individu, mais où nul individu ne se pouvait reconnaître. Quelle clef appliquer à un pareil ouvrage ? La Bruyère seul pourrait la donner : on dit qu’il l’a fait. Il est permis d’en douter, et de considérer la Clef des Caractères