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enfans jumeaux. — Tu as donc, lui dit-elle, deux maris, pour avoir ainsi mis au monde deux fils en même temps ? — Et, toute noble dame qu’elle fût, elle accompagna cette singulière apostrophe des épithètes les plus blessantes, et traita la bonne femme de ribaude. Celle-ci répondit qu’elle priait Dieu de la punir, si jamais elle avait trahi ses devoirs d’épouse, et qu’elle s’en rapportait à sa justice du soin de venger son honneur outragé. — Vous voyez bien, ajouta-t-elle, cette truie qui passe suivie de ses petits ? Comptez-les bien, et aussi vrai que je suis innocente, vous donnerez bientôt le jour à un même nombre d’enfans. — La dame compta douze porcelets, et se mit à rire; mais, au bout de quelques mois, elle mit au monde, le même jour, douze enfans de la plus belle venue. Ces enfans furent tous baptisés, devinrent tous des personnages importans, et prirent pour armes l’image de la truie que la pauvre femme avait montrée à leur mère. Les anecdotes du genre de celles que nous venons de citer sont très nombreuses dans les héraldistes, et ils les rapportent avec la même bonne foi que les auteurs des Bestiaires racontent l’histoire fantastique du crocodile ou de la licorne.

En traitant de la partie purement allégorique des emblèmes du blason, nos vieux écrivains donnent également à leur fantaisie une libre carrière; ils acceptent sans contrôle toutes les traditions fabuleuses, mais ils trouvent du moins parfois des rapprochemens qui semblent justifier la présence de certains animaux dans les armoiries, et qui fournissent toujours une foule de réflexions morales. Le lion, l’aigle, le dauphin, le cheval, la licorne, le phénix, la colombe, investis par la tradition des instincts les plus généreux, des qualités les plus brillantes, et formant parmi les bêtes une véritable aristocratie, puisqu’ils étaient qualifiés de nobles, pouvaient sans déroger servir d’emblèmes à l’aristocratie féodale; aussi les voit-on souvent figurer dans les blasons les plus illustres. Le lion, que Vulson de la Colombière appelle le capitaine général de toute la cohorte des bêtes, le lion, surnommé l’animal solaire, parce qu’il a toujours les yeux ouverts comme le soleil, « qui ne ferme jamais ce bel œil lumineux et chaud dont il éclaire le globe, » sert de symbole et de hiéroglyphe aux plus belles actions de la guerre, de la politique et de la morale. Il personnifie la vigilance, le commandement, la domination souveraine, et c’est pour cela qu’il figure principalement dans les armoiries des rois et des princes. L’aigle, que la tradition du moyen âge, d’accord avec la tradition antique, représente avec les mêmes qualités que le lion, reparaît dans l’art héraldique avec une signification analogue. Il prophétise l’empire, dit Palliot. C’est lui « qui enleva le chapeau de la tête du vieil Tarquin pour lui annoncer qu’il serait roi de la ville fondée par Romulus. Il s’arrêta sur la maison d’OEgon, afin d’induire les Argiens à le choisir pour roi, après que la famille