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1658, par ordre de Mademoiselle, comme elle le dit : plusieurs autres dames s’exécutèrent de bonne grâce. Il était reçu qu’on dirait de soi le bien qu’on en pensait, mais qu’on oserait dire aussi le mal. La belle duchesse de Châtillon ne trouva que des éloges à se donner. Celles qui ne se sentaient pas aussi habiles ou aussi hardies s’adressaient à de plus exercées. Mme de Brégy, qui était une des muses du temps, avec Henriette de Coligny, la comtesse de La Suze, se chargea de faire le portrait de la princesse d’Angleterre, l’aimable Henriette, avant qu’elle fût mariée, sous le nom de la princesse Cléopâtre, avec celui de la reine de Suède, alors à Paris. On emprunta aussi le secours de quelques plumes viriles. Le marquis de Sourdis peignit la comtesse de Maure et la duchesse de Créqui ; M. de Jussac, la jolie Mme de Gouville, que les mémoires de Lenet nous font si bien connaître ; Vineuil, bel esprit un peu subalterne, à moitié homme du monde, à moitié homme de lettres, et qui aurait bien voulu rappeler Sarazin et Montreuil, car personne alors n’aurait osé songer à l’héritage de Voiture, s’arrêta si complaisamment à retracer la beauté de la comtesse d’Olonne, qu’il oublia de dire le reste. C’est en cette occasion que Mme de La Fayette fit le premier usage de sa plume délicate en faveur de son amie, la marquise de Sévigné ; elle l’annonçait en quelque sorte et s’annonçait elle-même, car il est impossible de faire un portrait plus agréable, plus flatteur et plus fidèle tout ensemble. Ce devait bien être là Mme de Sévigné, jeune encore, n’ayant pas toute sa renommée, retenant un peu sa verve et sa malice, et ne laissant paraître qu’un enjouement plein de charme. Il y eut aussi des portraits dont les auteurs et les originaux ne voulurent pas être connus, et qui sont mis sous des noms de fantaisie. N’oublions pas de dire à l’honneur de la société de Mademoiselle qu’une main ignorée y a tracé un portrait des précieuses que Molière a dû connaître, et qui, bien mieux encore que le livre et la comédie de l’abbé de Pure, le préparait et l’autorisait. Remarquez enfin que, parmi tous les auteurs du Luxembourg, il n’y a guère que des personnes du grand monde ; que Mademoiselle n’employa pas d’hommes de lettres proprement dits, aucun des habitués du samedi, et que Mlle de Scudéry elle-même, si considérée et si honorée, si habile ou du moins si célèbre dans l’art des portraits, n’en a pas fait ici un seul.

Tel fut le passe-temps de Mademoiselle et de ses amis pendant les années 1657 et 1658 : de ce passe-temps est sortie toute une littérature. En 1659, Segrais revit ces portraits[1], en ajouta un assez bon

  1. Œuvres diverses de Segrais, édit. d’Amsterdam, 1723, t. Ier, Mémoires anecdotes, p. 172.