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son premier secrétaire d’ambassade. Macao fut le lieu choisi pour les négociations. Les diplomates du Céleste Empire y arrivèrent un mois après nous. Ils se logèrent dans des pagodes aux environs de la ville : on avait déménagé les dieux pour leur faire place. Deux jours après, Ki-yng, devançant, courtoisement M. de Lagrené, lui fit la première visite.

C’était le 1er octobre, les canons des forts portugais annoncèrent que le vice-roi venait d’entrer dans la ville, et bientôt l’escorte défila dans notre rue. Il y avait des cavaliers tartares sur leurs grandes selles et sur leurs petits chevaux, des fantassins avec des lances, des clercs en robes avec des parasols, d’autres assis dans des chaises à porteurs, puis une infinité de bannières et d’étendards bariolés de dragons et de figures grotesques, enfin la large chaise de Ki-yng, suivie de celles de Houang, de Pan-se-tchen et de Tsaô et d’une quantité d’autres : le tout avec un grand bruit de gongs, de tam-tams, de cornemuses, de flûtes et d’autres instrumens du pays plus ou moins discordans.

Notre ambassade avait également déployé toutes ses splendeurs. Notre garde de marins, dans ses plus beaux habits, était rangée en haie, l’arme au bras, sous le vestibule. L’escalier était orné de fleurs ; on avait déroulé dans le salon un grand portrait de Ki-yng en pied, envoyé la veille, par le commissaire impérial ; on avait placé sur une table un magnifique service de thé en porcelaine de Sèvres, que le roi avait donné à son plénipotentiaire. L’amiral Cécille, les officiers de son état-major, les nombreux attachés de l’ambassade, le consul, M. de Bécour, tous en grand uniforme, environnaient le ministre d’un cortège doré et brodé, qui paraissait probablement aux Chinois tout aussi étrange que leur cavalcade d’Opéra nous le semblait à nous-mêmes.

J’allai au-devant de Ki-yng, que M. de Lagrené reçut à l’entrée du salon. Le vice-roi était un vieillard à moustaches blanches, à la physionomie bienveillante et grave, à la démarche empreinte d’une véritable distinction. C’est une chose remarquable comme chez les peuples les plus éloignés, qui diffèrent le plus par les habitudes morales et par l’aspect physique, il y a je ne sais quoi de parfaitement identique, qui se fait jour, on ne sait comment, dans certains gestes et dans certaines manières, pour représenter au dehors le sentiment de dignité personnelle qu’inspirent ordinairement l’élévation du caractère et la supériorité du rang. Ki-yng, à Paris ou à Londres, introduit dans un de nos salons, aurait probablement paru fort laid au premier coup d’œil, mais personne certainement ne lui aurait rien trouvé de trop étrange dans les manières, et même on n’aurait pas tardé à lui reconnaître les airs d’un grand seigneur.

Houang, Pan-se-tchen et Tsaô entrèrent à la suite du commissaire