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Presque dans le même temps, mais dans un quartier bien différent de Paris, au Luxembourg, s’était formée une tout autre société, qu’on ne peut pas appeler une société littéraire, et qui pourtant a laissé une trace profonde dans la littérature nationale.

Mademoiselle, fille unique de Gaston, duc d’Orléans, après avoir pris, ainsi que son père, une assez grande part à la fronde, et y avoir fait un moment le général d’armée avec ses deux aides de camp, Mme de Fiesque et Mme de Frontenac, vivait tranquillement au palais du Luxembourg, dans une disgrâce que lui rendaient facile à supporter sa naissance et sa fortune. Elle avait une cour, et l’esprit y était le bien-venu. Elle-même en avait beaucoup, d’un genre un peu fantasque, mais assez relevé, capricieuse, mais sincère, et plus portée aux aventures qu’aux bassesses. Elle avait voulu faire elle-même sa destinée, et elle n’avait pas su la conduire. Plus d’une fois elle avait pu s’asseoir sur un trône ; elle avait rêvé celui de Louis XIV, et elle avait fini par se prendre d’une passion ridicule pour un gentilhomme dépourvu de toute grande qualité, et qui n’avait pas même celle de l’aimer. Jeune, elle avait eu quelque beauté. Sans nulle étude, elle prenait plaisir à se rendre compte de ce qu’elle avait pensé ou voulu et à mettre sur le papier tout ce qui lui passait par la tête. On a d’elle des mémoires écrits tout entiers de sa main[1], où il n’y a pas un mot d’orthographe et où les détails insignifians surabondent, mais qui sont pleins des renseignemens les plus précieux, et d’un style qui n’est pas vulgaire et sent fort bien sa princesse royale. Pendant sa disgrâce, de 1654 à 1659 et 1660, la demoiselle, n’ayant rien de mieux à faire, s’occupa de littérature. Elle avait pour secrétaire de ses commandemens Segrais, de l’Académie française, poète et bel esprit, qui a laissé un nom dans les lettres, et qui naturellement s’efforçait de donner ses goûts à sa maîtresse. Les Nouvelles francoises et les Divertissemens de la princesse Aurélie, qui parurent en 1656[2], sont un récit allégorique de la manière dont la princesse Aurélie, c’est-à-dire Mlle d’Orléans, passait son temps au château des Six-Tours-Saint-Fargeau avec cinq de ses amies, Mmes de Fiesque et de Frontenac, peu déguisées sous les noms de Gilonide et de Fronténie ; Mme de Valençay, la sœur de Mme de Chatillon et du maréchal de Luxembourg, appelée ici Aplanice, de la devise célèbre de sa maison[3] ; la jolie marquise de Mauny, qu’on nomme Silerite, et Uralie, qui est Mme de Choisy,

  1. On en peut voir à la Bibliothèque nationale le manuscrit autographe.
  2. 2 vol. in-8o, chez Sommaville, 1656. Segrais n’y a pas mis son nom, mais il en est l’auteur et il a signé la dédicace. L’exemplaire de la Bibliothèque nationale, qui vient de la bibliothèque des Sully, contient une clé manuscrite dont nous avons fait usage.
  3. Απλανος est la devise des Montmorency.