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sur eux sa protection efficace, mais déjà impérieuse. D’habiles souverains, comme Philippe-Auguste ou Blanche de Castille, ont su dans chaque cité se porter au secours de la bourgeoisie menacée par ses propres fautes, et faire payer leur auxiliaire par une soumission à peu près complète. Voici le bon saint Louis sous son chêne, voici l’astucieux Philippe le Bel dans ses conseils de justice et de finances : auprès d’eux siègent des bourgeois, des hommes du tiers déjà vêtus de vair et d’hermine, comme des seigneurs ; mais ce ne sont plus des élus d’une cité franche, ce sont des favoris de princes ou des conseillers royaux ; ce ne sont plus des bourgeois, ce sont déjà des fonctionnaires publics. Dans leurs assises, si l’on proclame que toute créature est formée à l’image de Nôtre-Seigneur et doit être franche de droit naturel, on pose aussi en principe que nulle commune ne peut s’établir sans, le consentement du roi[1]. L’égalité sociale a fait un grand pas ; mais la liberté compromise est restée à moitié route.

M. Thierry, qui a bon courage, applaudit à ce résultat ; il prend son parti de la destruction des franchises communales, qui ne pouvaient, dit-il, rester intactes que dans leur isolement primitif ; il aime mieux un roi absolu proclamant au nom de la loi naturelle le droit de liberté pour tous[2]. Si nous avions à discuter avec lui, nous nous permettrions peut-être d’être d’un autre avis : à la profession éclatante des plus beaux, droits, nous préférerions, pour les progrès véritables d’une nation, la pratique sincère des plus modestes ; mais ce serait reprendre vraiment de trop haut le procès que nous pouvons avoir à faire au cours providentiel des événemens : il faut se borner pour le moment à exposer les faits de la cause.

Si le XIIe siècle peut être appelé l’âge des communes et des franchises locales, le XIVe est celui des états-généraux et voit commencer l’influence de la capitale. C’est dans le sein des assemblées des trois ordres et dans l’enceinte de Paris que vont se poursuivre désormais les progrès du tiers-état. Ce laborieux enfantement, baigné de sang et de pleurs, se poursuit entre les désastres nationaux et les triomphes de l’étranger, — entre Crécy, Azincourt et Poitiers, — entre la captivité de Jean et la démence de Charles VI. Privé par ce double interrègne, et par une question de succession douteuse, de l’appui et en même temps du joug de la royauté, seul riche d’ailleurs au milieu d’une noblesse ruinée, et riche de cette richesse dont la guerre a besoin, l’argent comptant, le tiers-état se voit tout d’un coup l’arbitre des rois et le maître du pays. Dans les états-généraux, si fréquens pendant les guerres des Anglais, le tiers-état prend tout d’un

  1. Essai sur la formation et le progrès du tiers-état, p. 29-30.
  2. Ibid., p. 24-29.