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solide et quelle base inébranlable de pareilles franchises communales auraient faits pour l’édifice d’une grande et générale liberté politique ! J’ai de la peine, je l’avoue, à me consoler, quand je pense que nous pourrions avoir, nous aussi, comme d’autres, nos vieilles libertés, nos libertés séculaires et chrétiennes, filles de la religion et du temps, revêtues de formes patriarcales, — des libertés qui seraient des coutumes et non des nouveautés, transmises par nos pères, et qui inspireraient à nos enfans les deux sentimens les plus honnêtes dont puisse être animés un être moral, le respect du passé et l’estime de soi-même ! Quelle autre figure feraient nos communes de France, si, à la place d’administrateurs en habit brodé, portant gauchement une épée de cour et une écharpe de théâtre, on voyait figurer à leur tête les échevins, les jurés, les prévôts, sous leurs robes aux couleurs communales, et siégeant, non pas dans quelque hôtel-de-ville d’une architecture de fabrique, mais au pied de la vieille tour et du beffroi qui appelait tous les bourgeois à l’assemblée populaire ! Hélas ! ces franchises communales, qui, dans tous les pays d’Europe, ont été comme le gland d’où sont sorties, ainsi que de grands chênes, les fortes institutions de liberté, elles ont été déposées sur le sol de France, il ne leur a manqué que d’y prendre racine et d’y fleurir.

On n’a pas plus tôt en effet tourné la page, et le XIIIe siècle est à peine commencé, que ce mouvement d’émancipation des communes, la première œuvre du tiers-état naissant, s’embarrasse, recule et bientôt s’arrête. Plus d’une commune affranchie devient le théâtre de violences populaires ou de brigues électorales. Les seigneurs dont elles ont secoué le joug y pratiquent par la corruption de secrètes intelligences. On conspire derrière les créneaux du château voisin contre la liberté communale ; dans l’enceinte de la ville, on la trahit et on la déshonore. Aussi y a-t-il très peu de ces chartes précieuses qui atteignent dans leur intégrité les années 1250 ou 1300. À cette époque, à la fin du XIIIe siècle, voici ce qu’est déjà devenue la situation du tiers-état : il a perdu, presque sans avoir eu le temps d’en jouir, ses franchises municipales[1]. Les bourgeois ne conservent plus qu’une ombre de leur droit d’élection et d’administration ; ils ont cessé de faire et d’appliquer eux-mêmes leurs propres décrets, de lever et de dépenser eux-mêmes leurs propres deniers. Et cependant ils ne sont pas pour cela retombés sous la juridiction de leur suzerain : ils ne sont redevenus ni justiciables ni corvéables à la fantaisie de leurs anciens seigneurs féodaux. Un nouveau maître les a pris à la fois sous son patronage et sous son empire. La royauté a étendu

  1. Voici la fin des principales communes de France dont M. Thierry a tracé l’histoire : Abolition de la commune de Reims en 1257, de Laon en 1294, de Vézelay dès 1155, etc.