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embarras que cette dignité lui aurait suscités et les répugnances qu’elle rencontrait dans son royaume, il devait remercier Dieu d’y avoir échappé[1]. Il écrivit en même temps à Bonnivet, à Jean d’Albret et à Guillart, qu’il prenait en bonne part l’issue de son affaire, qui au fond était avantageuse pour lui, et serait profitable à ses sujets[2]. Il les invita à le rejoindre au plus tôt en évitant toute mauvaise rencontre. Ceux-ci quittèrent l’Allemagne sans accident, et même avec réputation. Ils envoyèrent 4,000 lansquenets au duc de Lunebourg, qui battit et fit prisonnier le duc Henri de Brunswick, et ils laissèrent au duc de Lorraine, en repassant par Nancy, les moyens de se mettre en défense contre les attaques dont il était menacé à cause de son dévouement à leur maître[3].

Ainsi commença entre François Ier et Charles-Quint cette grande rivalité qui devait remplir encore plus d’un quart de siècle. Le plus jeune et le moins expérimenté l’emporta sur l’autre. Une puissance moins redoutable en apparence contribua à lui rendre l’opinion propice, en même temps que la fortune favorisait, comme il arrive souvent, les débuts de son ambition et de ses entreprises.

Cette élection devait avoir des suites considérables : elle changeait la proportion des forces entre les deux rivaux ; elle était pour eux le signal d’une lutte acharnée, qui aurait pour théâtre l’Italie, pour objet la conservation ou le recouvrement du Milanais. Elle exigeait de la part des deux princes l’assujettissement de plus en plus grand de leur royaume héréditaire, afin qu’ils pussent poursuivre leurs desseins extérieurs sans en être détournés, l’un par le vieil esprit d’indépendance de l’Espagne, l’autre par les ardeurs tumultueuses de la France. Elle laissait pour longtemps l’Allemagne sans chef, livrée à la rapide invasion des idées nouvelles dont François Ier était appelé à être l’auxiliaire actif, tandis que Charles-Quint, occupé, durant plus de vingt années, de guerres d’où il attendait la possession absolue de l’Italie, devait être le défenseur impuissant des anciennes croyances. Enfin elle poussait le roi très chrétien non-seulement à favoriser l’hérésie en Allemagne pour annuler l’empire en le divisant, mais à s’allier avec les Turcs, qu’il avait promis de combattre, afin de tenir avec leur aide son ennemi capital en échec. Cette élection précipita le cours des événemens, et facilita le triomphe des doctrines de Luther.


MIGNET, de l’Institut.

  1. Lettre de Thomas Boleyn, ambassadeur d’Henri VIII auprès de François Ier, au cardinal Wolsey, du 4 juillet. — Dans Ellis, Original Letters, vol. Ier, p. 154.
  2. Lettre des ambassadeurs de François Ier à ce prince, des 29 juin, 15 et 18 juillet. Ibid., f° 164-166.
  3. Lettre de François Ier à ses ambassadeurs, du 5 juillet. M. de La Mare 10332/3, p. 154.