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l’aurait bien gagné, car c’était lui qui avait décidé les autres électeurs à Augsbourg. Il ajouta qu’il ne tenait encore qu’à lui de faire et de défaire le tout, puisque ses collègues suivraient ses conseils et son exemple, ainsi qu’il pourrait le prouver en montrant les lettres qui lui étaient écrites. Il finit en demandant qu’on lui remît 100,000 florins d’or de plus, sinon il affirma que tout serait perdu pour le roi catholique.

Armerstorff recula devant l’énormité de cette nouvelle prétention; il répondit avec colère qu’il n’avait pouvoir de rien accorder que ce qui était déjà convenu, que le roi Charles ne serait point empereur, mais que le margrave de Brandebourg et l’archevêque seraient déshonorés, que Dieu les punirait, et qu’ils feraient eux-mêmes la verge dont ils seraient battus[1]. Il prit aussitôt congé de l’électeur, qui, un peu troublé de cette violente sortie, le pria de bien réfléchir pendant la nuit, et le prévint qu’il lui enverrait le lendemain son valet de chambre pour savoir sa conclusion et l’avertir de la sienne.

Au fond, l’archevêque de Mayence, malgré le cynisme de son avidité, comprenait qu’un archiduc d’Autriche convenait mieux pour empereur qu’un roi de France. Il se sentait entraîné d’ailleurs par l’opinion allemande, qui commençait à se déclarer avec force dans ce sens. Il aurait donc voulu s’arranger avec le roi Charles, mais en se faisant payer son suffrage le plus cher possible. Le lendemain matin, il envoya dans cette vue à Armerstorff son valet de chambre, qui ne demanda plus que 80,000 florins et qui descendit successivement à 60 et à 50,000. Armerstorff répondit, comme la veille, qu’il était sans pouvoirs, qu’il lui était dès lors interdit de rien promettre, mais qu’il allait écrire pour demander les ordres du roi son maître. L’archevêque répliqua qu’il ne pouvait pas attendre, parce que son frère et les autres électeurs, dont les messagers étaient là, le pressaient de conclure, et qu’il ne voulait pas être à terre entre deux selles. La vue du danger décida Armerstorff à excéder ses pouvoirs et à prendre quelque chose sur lui; il dit à l’archevêque qu’il lui ferait accorder une somme de plus, s’il gardait cette augmentation secrète et s’il persuadait aux autres électeurs de s’en tenir à l’arrangement d’Augsbourg. Après trois jours de débats, il parvint à le décider à se contenter de 20,000 florins d’or de plus. La pension de 10,000 florins dut lui être garantie sur les recettes du gouvernement d’Inspruck, et Armerstorff s’engagea à lui faire remettre la vaisselle et les tapisseries qui lui avaient été promises. Le roi catholique dut en outre solliciter pour lui à la cour de Rome la charge de légat perpétuel et lui assurer les autres avantages qu’il attendait du roi de France.

  1. Le Glay, Négociations, t. II, p. 289-290.