Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

furent les sentimens de la pauvre mère. Elle demeura longtemps accablée, et insensible aux complimens de condoléance qui lui furent adressés de toutes parts. Il lui fallut plusieurs mois pour se remettre un peu et trouver la force de répondre à quelques amis d’élite. Dans le nombre était le comte d’Avaux, Claude de Mesme, homme d’infiniment d’esprit, un des anciens habitués de l’hôtel de Rambouillet et correspondant de Voiture, diplomate éminent, qui alors représentait la France au congrès de Munster. Il avait écrit à Mme de Sablé en cette occasion une lettre des plus tendres. Nous donnons ici la réponse de la marquise, non pas qu’elle ait rien de fort remarquable, elle est très simple et devait l’être, mais parce qu’on y sent ce je ne sais quoi de distingué et d’aimable, qui, dans les moindres choses comme dans les plus importantes, est le trait particulier de tout ce qui sortait de la plume de Mme de Sablé.


« Réponse[1] de madame la marquise de Sablé à M. d’Avaux.


« Monsieur,

« Vous avez si bien compris l’affliction que je sens de la perte que j’ai faite, que je ne doute pas que vous ne compreniez bien aussi la difficulté que j’ai d’écrire sur ce sujet-là, et ainsi je crois que vous me ferez aisément la grâce de me pardonner si j’ai tardé jusqu’à cette heure à répondre à la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. En vérité, monsieur, je puis vous assurer que tout ce qu’on m’a dit et écrit en cette malheureuse occasion n’a fait aucune impression sur mes sentimens, et que vos seules paroles, soit en flattant mon déplaisir, ou même en me causant une secrète satisfaction de me voir encore dans l’honneur de votre souvenir, ont eu la force de me faire treuver quelque sorte de bien qui ne se peut quasy nommer en l’état où je suis. C’est assez vous dire, monsieur, pour vous faire connoitre de quelle sorte vous estes dans mon cœur et dans mon esprit, et pour vous faire encore un peu honte de m’avoir si longtemps privée de vos nouvelles, moi qui sur toutes les personnes du monde honore votre mérite, et suis, avec une véritable passion, votre, etc. — Décembre 1646[2]. »

    siège. Il fut regretté de toute la cour et particulièrement du duc d’Enghien, qui l’aimait. » — Mémoires de Monglat, t. L de la collection Petitot, p. 42 : « Le marquis de Laval Bois-Dauphin, gendre du chancelier de France, reçut un coup de mousquet dont il mourut, au déplaisir du duc d’Enghien et de toute la cour, pour les bonnes qualités qui étaient en lui. »

  1. Manuscrits de Conrart, in-4o, t, X, p. 269.
  2. Voici encore un billet de même genre de Mme de Sablé, que nous trouvons dans les manuscrits de Conrart, in-4o, t. XIV, et dont nous ignorons la date et l’occasion. Il ne dit rien, mais le style est de la meilleure qualité et d’une légèreté tout à fait remarquable :
    De madame la marquise de Sablé à madame la duchesse de la Trémomoille ;
    « Madame,

    « Je croi qu’il n’y a que moi qui face si bien tout le contraire de ce que je veux faire, car il est vrai qu’il n’y a personne que j’honore plus que vous, et j’ai si bien fait qu’il