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les voyez pas comme moy. Bon soir, j’en dormiray en repos, ce que je n’aurois pas fait, si mon esprit ne se fût ouvert à la fourbe que vous me voulez faire. Mme  la princesse m’a dit ce soir qu’elle vous a des obligations très grandes du soin que vous avez eu de Mlle  sa fille. »


Mme  de Sablé avait perdu son mari en 1640. L’année 1646 lui porta un coup bien autrement rude en lui enlevant le second de ses fils, celui qu’elle aimait d’une tendresse particulière, et sur lequel elle avait fondé ses plus grandes espérances. Guy de Laval était un de ces fameux petits-maîtres, les camarades de Condé, élevés avec lui ou attachés à sa fortune, qui ne le quittaient ni dans les plaisirs ni dans les combats, qui brillaient dans les fêtes du Louvre et de Chantilly, et à la voix de leur jeune chef s’élançaient sur les champs de bataille, toujours aux postes les plus périlleux, se chargeant des manœuvres les plus difficiles, et acquérant ainsi le coup d’œil et la décision qui font les hommes de guerre : admirable école d’où est sorti le plus grand des Montmorency, le vainqueur de Guillaume, Montmorency-Luxembourg. On a beaucoup reproché à Condé d’avoir trop fait pour ses jeunes amis, et de leur avoir prodigué les grades et les commandemens ; mais il ne faut pas oublier qu’eux aussi ils prodiguaient leur sang et servaient avec un dévouement extraordinaire. La plupart ont été tués de bonne heure. Potier de Gèvres a été enseveli sous une mine à Thionville, quand il allait passer maréchal ; Châtillon a péri au combat de Charenton, et le bâton de maréchal n’a été déposé que sur sa tombe ; Pisani, le fils de Mlle  de Rambouillet, est resté à Nordlingen ; La Moussaye est mort tout jeune, ainsi que Chabot, Nemours et tant d’autres. Guy de Laval était le plus beau de tous les petits-maîtres, et l’un des plus braves et des plus spirituels. Il faut qu’il ait été bien aimable pour avoir séduit jusqu’à Tallemant. « C’était, dit Tallemant, un des plus beaux gentilshommes et des mieux faits de France[1]. » Il avait l’âme aussi belle que la figure ; il était généreux, humain, affable, et le plus obligeant des hommes. Il se faisait aimer de tout le monde, et sa mère l’adorait. Il n’avait guère plus de vingt ans à Rocroy, où il commença à se faire remarquer, et il se distingua tellement à la prise de Thionville, que Condé le récompensa en lui donnant la flatteuse commission d’en porter la nouvelle à Paris. « Il avait acquis tant de réputation, dit encore Tallemant, que M. d’Enghien le regardait comme un appui de sa grandeur. » Par les grâces de sa personne, il avait gagné le cœur et la main de la fille du chancelier Séguier, veuve du marquis de Coislin, et par le crédit de son beau-père et celui de Condé, surtout par sa propre capacité et ses services, il était destiné aux plus grands commandemens et à renouveler le maréchalat dans

  1. Tome IV, p. 152.