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crise ; il cherche à la tempérer encore aujourd’hui, à Paris du moins, en créant une caisse de la boulangerie, destinée à maintenir le bon marché du pain, sans surcharger les finances municipales et sans mettre au compte de l’état une dépense spécialement affectée à la population parisienne. C’est la caisse nouvelle qui tiendra compte aux boulangers de la différence entre le prix du pain tel qu’il reste fixé et le prix réel tel qu’il ressort des mercuriales, et plus tard elle se remboursera par une légère élévation du prix du pain dans un moment plus favorable. Dans ces crises de l’alimentation publique, le gouvernement peut beaucoup sans doute, il ne peut pas tout, et dans plus d’un département aujourd’hui l’esprit de charité individuelle se montre au niveau des misères d’une saison doublement rigoureuse. Il a ses souscriptions, ses associations, ses combinaisons ingénieuses. De tous les procédés pour l’extinction du paupérisme, celui-là est le plus efficace, parce qu’il est le moins systématique. L’esprit de charité n’imagine point détruire ce qui ne sera jamais détruit. Là où les besoins se révèlent, il agit ; il se multiplie au spectacle de ces dénuemens poignans qui sont l’infirmité de notre civilisation superbe. Aussi, quand nous interrogeons encore une fois une année qui s’en va sur ses œuvres et sur ses tendances, il ne suffit pas de se demander ce qui a été réalisé pour l’éclat extérieur de cette civilisation ; il faut se demander ce qui a été fait pour entretenir ce fonds de religieuse et humaine sympathie, pour maintenir l’intégrité de la vie morale, qui supplée au vide de la vie matérielle, et sans laquelle toute action administrative est impuissante.

La crise alimentaire qui a signalé la fin de l’année 1853, et qui, d’après les assurances officielles, tendrait à perdre de son intensité, touche de près à l’ensemble de la situation économique du pays ; mais en dehors de cette question, dans la sphère des intérêts économiques considérés en eux-mêmes, le gouvernement s’est trouvé depuis quelque temps en présence de plus d’un problème sérieux. Des questions de tarifs se sont élevées. Or quelle est la politique qui semble prévaloir sous ce rapport ? Est-ce le maintien des prohibitions douanières ? Est-ce un système plus favorable à l’abaissement des barrières commerciales ? Le décret qui diminuait, il y a quelques jours, les droits sur les fers étrangers, montrait le gouvernement décidé à entrer dans la voie des réductions de tarifs. Un décret récent qui, en permettant l’introduction des cotons bruts, donne une sanction nouvelle à la législation existante sur les cotons filés, le montre au contraire disposé à ne se point départir d’une certaine mesure de protection accordée aux produits français. Ces tendances ne sont point aussi opposées qu’elles peuvent le paraître ; elles indiquent un dessein plus pratique que théorique, la pensée d’opérer graduellement des réformes modérées là où elles sont possibles, en s’arrêtant là où le péril commencerait pour l’industrie nationale, et en définitive n’est-ce point là l’idée la plus sage et la plus prudente ? Plus d’une fois encore, sans doute, ces luttes du libre échange et du système protecteur se renouvelleront, et il n’est point impossible qu’elles se résolvent de même, c’est-à-dire par des sacrifices mutuels. Le système protecteur sera atteint par le décret sur les fers, le libre échange n’aura pas gain de cause par le décret sur les cotons, et en attendant la législation française se transformera peu à peu, de manière à mieux concilier les intérêts de la production et de la consommation.