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tanément soumis au divan par les représentans de la France et de l’Angleterre à Constantinople ; mais c’est là certainement le moindre obstacle. L’essentiel, c’est que le gouvernement du sultan semble s’être montré disposé à accueillir des propositions de paix, et l’élévation de Reschid-Pacha au poste de grand-visir, si elle se réalisait ainsi qu’on l’a dit, ne pourrait être considérée que comme un gage nouveau d’une politique éclairée et conciliante, accessible aux conseils de l’Europe. Les événemens d’ailleurs ne sont-ils point de nature à fortifier ces tendances ? Hier encore, par une note officielle, le gouvernement français annonçait que la Porte était en parfait accord avec les quatre grandes puissances européennes pour concourir au rétablissement de la paix. À vrai dire, ce n’est point de la part de la Turquie que sont à redouter aujourd’hui les difficultés les plus sérieuses. La question est de savoir si la Russie acceptera ces négociations qu’on lui offre, si elle consentira surtout à désarmer quand les flottes de la France et de l’Angleterre sont dans la Mer-Noire ; et si la Russie n’accepte point, on ne saurait se dissimuler que la paix du monde tient à peu de chose. Seulement, dans le cas où quelque conflit éclaterait, trompant tous les efforts et toutes les pensées de conciliation, ce serait aux cabinets de l’Occident, par leur union, à le limiter, à le trancher rapidement, et à le ramener sur un terrain nouveau de combinaisons pacifiques redevenues possibles.

Si on juge donc l’heure présente au point de vue des relations internationales et de l’état général du monde, le fait le plus caractéristique, sans contredit, restera cette crise engagée en Orient, redoutable héritage laissé par l’année qui finit a l’année qui commence. Si on observe un autre côté des choses, la marche des tendances politiques, le travail des institutions, en un mot le mouvement intérieur de chaque pays, alors la scène change, et l’on se retrouve en présence d’une halte universelle. Lorsque 1853 commençait, la situation de la France, telle que l’avaient faite les dernières années d’agitations, n’avait plus à dévoiler aucun mystère ; le dernier mot des révolutions anarchiques était dit par la reconstruction d’un immense pouvoir : l’empire venait de naître. Il ne restait plus, pour un pays comme la France, qu’à voir le régime nouveau suivre son cours, l’esprit public reprendre son niveau et se retrouver au milieu des surprises contemporaines, l’expérience porter ses fruits, les promesses d’un temps de paix s’accomplir. Un an s’est écoulé déjà : dans cet intervalle, peu d’événemens saillans ont eu lieu ; politiquement, aucun ne s’est produit qui ne fut la simple conséquence de la situation nouvelle de notre pays ; le trait dominant, c’est l’action permanente d’un pouvoir public sans partage. Ainsi s’ouvrait l’année 1853, ainsi s’ouvre encore l’année 1854. Matériellement, on a vu les entreprises de toute nature surgir, les travaux se succéder, l’ardeur des spéculations devenir par momens une sorte de fièvre, et, par un contraste saisissant, cette vaste expansion de l’activité matérielle est venue se heurter tout à coup contre une de ces crises que nul ne peut prévoir, et que la providence envoie de temps à autre comme pour montrer à l’homme que son génie ne suffit pas à tout, comme pour l’humilier dans l’orgueil de son art et de son industrie, en le réduisant à s’occuper du plus strict nécessaire. Le déficit des grains s’est fait sentir. Le gouvernement n’a point épargné les mesures prévoyantes pour pallier cette