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dans les circonstances actuelles, des hommes de la gravité de lord John Russell, de lord Aberdeen, de lord Palmerston, pouvaient se passionner assez à l’endroit de la réforme électorale pour provoquer une crise ministérielle. La vérité est qu’en Angleterre, par une coutume patriotique, un ministre ne se retire pas sur une question extérieure ; le parlement lui-même d’habitude ne renverse pas un ministère sur une question de politique étrangère. Un prétexte est bientôt trouvé ; cette fois, ç’a été un bill de réforme électorale, et lord Palmerston a été un moment bel et bien convaincu d’avoir une politique très révolutionnaire au dehors, très réactionnaire au dedans. Dans le fond, la retraite de lord Palmerston n’avait et ne pouvait avoir qu’une cause sérieuse, — la question de la conduite à tenir en Orient. — Ce n’est point d’aujourd’hui d’ailleurs, on le sait, qu’il s’est manifesté des dissidences à ce sujet dans le ministère anglais : lord Palmerston a toujours incliné vers la résolution, tandis que lord Aberdeen inclinait vers la prudence. Que fût-il arrivé, si la démission du ministre de l’intérieur eût été maintenue ? Le cabinet de Londres y a réfléchi sans doute, et il a obéi à une considération plus élevée : il s’est demandé si c’était le moment de laisser l’Angleterre sans gouvernement ; il a senti aussi la pression de l’opinion publique, résolument prononcée en faveur de la Turquie. On pourrait dire que le mouvement de cette opinion et la force des choses ont ramené lord Palmerston au pouvoir, et le premier résultat de cette reconstitution du cabinet anglais a été l’acte de décision qu’on connaît, l’ordre envoyé aux flottes d’entrer dans la Mer-Noire, de telle sorte que plus que jamais aujourd’hui l’Angleterre et la France soutiennent la même politique et marchent droit au même but par le même chemin.

Faut-il croire que la présence des flottes combinées dans la Mer-Noire doive suspendre les négociations et dissoudre encore une fois le concert de l’Angleterre et de la France avec l’Autriche et la Prusse ? Pourquoi en serait-il ainsi lorsque les cabinets de Vienne et de Berlin soutiennent le même principe et ont les mêmes intérêts ? Ces intérêts pour l’Autriche et pour la Prusse sont l’intégrité de l’Orient, la paix de l’Allemagne et de l’Italie, le maintien des conditions territoriales actuelles de l’Europe, la sécurité du continent tout entier. Et qu’on l’observe bien, il n’y a que l’union des quatre grands gouvernemens qui puisse aujourd’hui préserver la paix de l’Europe, en la fondant sur le respect des traités actuels. Le concours même de la France est une sanction nouvelle de ces traités, et c’est une considération qui n’est point à coup sûr sans valeur. En séparant ouvertement leur politique de celle de l’empereur Nicolas, le jeune souverain de l’Autriche et le roi de Prusse se sont mis implicitement ou explicitement du côté de l’Europe. Ils ont eu l’un et l’autre rintelligence de leur rôle, ils en auront sans nul doute la résolution. Cette résolution peut se produire dans une mesure propre et distincte : qu’importe, pourvu qu’elle soit conforme aux vrais intérêts de l’Europe ? En, définitive, la démonstration des flottes anglaise et française n’a rien qui puisse détourner l’Autriche et la Prusse de leur politique ; elle n’a d’autre sens que de porter le drapeau de l’Occident sur le théâtre de la guerre, et de sauvegarder effectivement un principe commun, tandis qu’on négocie. Ce qui vient aujourd’hui compliquer ces négociations, assure-t-on, c’est que les propositions nouvelles récemment parties de Vienne avaient été précédées d’un projet spon-