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aucun excédant, et si une meilleure culture était possible sur quelques points, il était inutile de l’entreprendre, tant que les terres voisines restaient occupées par les anciens clans, car aucune récolte, aucun bétail ne pouvait échapper au pillage qu’autorisaient leurs traditions. C’est ainsi que les chefs des tribus écossaises arrivèrent peu à peu à cette pensée, qu’il n’était possible de tirer parti de ces montagnes qu’en les dépeuplant; dès lors ils n’ont cessé, d’abord en suivant des voies détournées, ensuite ouvertement et par la force, de raréfier eux-mêmes cette population que leurs ancêtres avaient multipliée dans un intérêt guerrier.

Le gouvernement anglais les y a poussés avec habileté; il a commencé par les attirer à Londres pour leur faire perdre peu à peu le sentiment national, et leur donner des idées et des habitudes nouvelles; puis, quand il a été bien démontré pour eux que l’ancienne organisation des Highlands était incompatible avec un régime de paix et de travail, il les a aidés à opérer cette transition difficile. Pour fournir un débouché à la population guerrière, on a créé des régimens de famille composés des hommes de chaque clan, commandés par leur chef traditionnel et soldés par l’état. Ces régimens ont soutenu bravement l’honneur de leur nouveau drapeau, et dans les guerres de l’empire notamment, les soldats de la haute Écosse, bien connus par leur costume singulier, étaient réputés les meilleurs de l’armée anglaise. En même temps on transportait dans la plaine les quelques familles des montagnes qui y consentaient; pour les plus rebelles, on organisait l’émigration en Amérique. Jusqu’aux dernières années du XVIIIe siècle, ces mesures furent exécutées avec des ménagemens; mais la grande révolution agricole d’Arthur Young décida le mouvement. Plus encore que partout ailleurs, l’avantage des grandes exploitations était évident dans ces montagnes stériles. Ce qui avait fait autrefois la force de la race gaélique, son organisation féodale, fut précisément ce qui la perdit. Le territoire d’un clan étant considéré comme la propriété du chef, la surface des Highlands était divisée en un petit nombre de vastes domaines. Le chef de chaque clan se mit à faire lui-même la chasse à ses sujets; beaucoup de ces malheureux partirent pour le Canada, d’autres cherchèrent à s’employer dans les basses terres ; sur les ruines de leurs cabanes, de grandes fermes s’élevèrent, destinées surtout à produire des moutons. Un noble écossais, lord Selkirk, donna publiquement, en 1808, la théorie de cette dépopulation.

C’était alors le temps où l’Angleterre et l’Europe lisaient avec délices les créations de Walter Scott. Le premier de ses poèmes, le Lai du dernier Ménestrel, parut en 1805, et le premier de ses romans, Waverley, en 1814. Dans ces fictions merveilleuses, le