Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses premiers chants. Cette contrée, autrefois si troublée, jouit aujourd’hui de la sécurité la plus parfaite; ses maigres pâturages ne pouvant guère nourrir que des moutons, on s’y livre uniquement à l’élève de ces innocens animaux, et on n’y voit plus d’autre lutte que celle des cheviots contre l’ancienne race des black-faced ou têtes noires, qui recule peu à peu devant ses rivaux, comme les bandits et les chevaliers du temps passé ont disparu eux-mêmes devant les bergers. La rente moyenne est de 10 à 12 francs par hectare, ce qui est beaucoup pour de simples pâtures. Des tempêtes terribles règnent en hiver sur ces hauteurs et y ensevelissaient autrefois sous la neige des troupeaux entiers, mais on a aujourd’hui des abris suffisans.

Abbotsford est situé précisément sur la limite de ces montagnes et des pays plus fertiles et mieux cultivés. Le comté de Roxburgh, autrement appelé Teviotdale ou vallée de la Teviot, contient des parties où fleurit la culture la plus avancée. C’est même par là qu’elle a commencé à s’introduire. Un fermier du Roxburghshire, nommé Dawson, a été l’Arthur Young de l’Ecosse; il occupait la ferme de Frogden, près Kelso, et, plus heureux qu’Arthur Young, il a pu joindre les succès de la pratique aux leçons de la théorie. Ses exemples se sont répandus autour de lui; aujourd’hui ce pays est couvert d’excellentes cultures. Je me souviens de m’être arrêté un jour dans une de ces fermes, située sur la rive gauche de la Tweed, juste en face d’Abbotsford. Le sol en est plus que médiocre, et une grande partie est en parcours; elle est cependant louée 50 francs l’hectare. Le fermier me montra avec un certain orgueil ses instrumens et son bétail : il avait une machine à battre mise en mouvement par un courant d’eau, et se proposait d’acheter l’année suivante une machine à vapeur; sa provision de tourteaux pour l’engraissement du bétail en hiver était déjà faite : elle s’élevait à 16,000 kilos. Il me mena voir ses champs, qui couvraient le penchant de la montagne. Je le suivais admirant d’un œil ses orges et ses avoines, mais un peu distrait, je l’avoue, par la vue d’Abbotsford, qui déployait sous nos yeux toutes ses tourelles réfléchies par la Tweed. « Si Scott vivait encore, me disais-je, ce brave homme deviendrait sans doute un des héros des Contes de mon hôte. » Qui ne se rappelle la charmante peinture de la ferme de Charlies-Hope dans Guy-Mannering, avec les bonnes figures du fermier Dinmont et de la fermière Aylie, et les joyeux incidens de la chasse au renard et de la pêche au saumon ? Charlies-Hope était tout près de là, dans la vallée du Liddell, derrière les cimes bleuâtres qui fuyaient à l’horizon; Dinmont signifie dans la langue locale un mouton antenais.

Quelques milles plus loin vers l’est, quand on descend des hauteurs de Lammermoor, autre nom que la poésie et la musique ont