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putréfaction et rongé des vers... » Chaque jour, en revenant de l’école, le disciple repasse en son esprit ces légendes terribles, saisissantes, qui enflamment son imagination et lui inspirent le dégoût de cette vie, ou plutôt, d’après le système de ses maîtres, de cette série d’existences d’où l’homme ne peut bannir les trois misères : « la vieillesse, la souffrance, la mort. »

Il y a pourtant un moyen de se soustraire à la nécessité de revenir éternellement sur cette terre de douleurs. Ce moyen, Gôtama l’a enseigné aux mortels, il est le point le plus important de la doctrine, et le religieux l’expose tout d’abord à ses disciples : « Gôtama, ayant résolu de ne plus renaître, commença par se livrer aux plus rudes austérités pour détruire en lui le péché. Durant six années, il vécut en ascète dans la forêt Ourouvilva, réduisant sa nourriture à un tel point, qu’il finit par tomber d’épuisement. De cette forêt il se rendit en un lieu plus retiré encore, et médita sous un figuier sacré jusqu’à ce qu’il fut arrivé à l’état suprême de Bouddha, c’est-à-dire à l’anéantissement final. » Mais avant de s’éteindre comme un astre qui a terminé sa carrière, Gôtama prêcha sa doctrine à Bénarès, à Radjagriha, par toute l’Inde, jusqu’à Ceylan, où il laissa l’empreinte de son pied. Doué d’une puissance merveilleuse, « il accomplit autant de miracles qu’il y a de grains de sable sur les grèves de la mer... » Et ces merveilles, consignées dans une série d’histoires tantôt riantes et empreintes d’une douce moralité comme les contes des fées, tantôt terribles et menaçantes comme les visions d’un cerveau halluciné, ne sont pas ce que le jeune auditeur écoute le moins attentivement. Peu à peu son esprit s’envole au-delà des horizons qui bornent son regard. On ne lui a rien dit de la vie pratique; au contraire on lui a montré l’existence comme un mal contre lequel il doit lutter par l’abstention des œuvres, par l’abnégation, par l’abstraction. Les hommes ne sont point à ses yeux des frères, les enfans d’un Dieu tout-puissant et miséricordieux qui a promis aux bons une récompense éternelle : ce sont des êtres de la même nature que les animaux et les plantes, végétant à travers d’innombrables naissances, roulant dans un cercle infini d’existences douloureuses. L’enfant, nourri de pareilles doctrines, élevé par des maîtres qui les mettent eux-mêmes en pratique, aspire vite au néant, et où en trouvera-t-il mieux l’image que dans ces monastères où les religieux coulent leurs journées oisives dans une inaction qui ressemble à celle des poissons bâillant par intervalles à la surface de l’eau ?

La fréquentation d’un monastère, la routine des habitudes qu’il y contracte, décident souvent de la vocation d’un jeune étudiant plus que la réflexion. Dès l’âge de huit ans, un enfant peut être admis au noviciat, pourvu qu’il ait obtenu le consentement de ses parens, car