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la lutte. Nous regrettons de ne pouvoir encore en dire autant de la Prusse. Sans doute la politique de M. de Manteuffel a été jusqu’à présent conforme aux vrais intérêts de la Prusse, inséparables dans cette question des intérêts de l’Occident. Cependant il semble qu’au moment de prendre un parti décisif, le roi de Prusse n’ait pas le courage d’être conséquent avec la politique que son gouvernement a suivie depuis une année. Nous ne savons au juste quelles sont les propositions que le roi de Prusse a fait porter à Paris et à Londres ; seulement ses hésitations actuelles sont connues. Il invoque en faveur de la paix l’humanité, la religion ; mais est-ce à la France et à l’Angleterre qu’il y a lieu d’adresser de pareilles exhortations ? Que le roi de Prusse y réfléchisse : au point où les choses ont été poussées par la Russie, et le dernier acte de la conférence de Vienne ne peut plus laisser espérer aucun retour de sa part, le temps des considérations philosophiques et mystiques est passé ; la philanthropie la plus vraie et la plus sûre chez un souverain, c’est la résolution.

Il y a huit jours, le roi de Prusse a condamné à Vienne, par l’organe de son représentant, la dernière formule que la Russie a donnée, à ses exigences ; si maintenant il hésite à exécuter pour ainsi dire le jugement qu’il a lui-même prononcé, quel démenti ne se donnera-t-il pas à lui-même ! Une pareille indécision est-elle permise à un pays comme la Prusse, qui a si longtemps aspiré à la direction de l’Allemagne ? Nous nous souvenons du temps où le prince Schwarzenberg, ce fier adversaire de la Prusse, disait que sa politique n’était point celle d’une grande puissance, qu’elle n’était que le premier des états de second ordre, et l’empereur de Russie se joignait alors à cette blessante opinion. Il dépend du roi de Prusse de réfuter ou de justifier le mot du prince Schwarzenberg. Enfin, si la Russie veut absolument la guerre, les faiblesses et les inconséquences de la Prusse pourraient seules appeler sur le continent cette lutte que l’union sincère et pratique des quatre puissances circonscrirait si aisément en Orient. Homme et souverain, nous espérons donc encore que le roi de Prusse comprendra la responsabilité qui pèse sur lui, triomphera de ses hésitations, et saura remplir ses devoirs envers l’Allemagne et envers l’Europe.


EUGENE FORCADE.