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Russie, vouloir maintenir l’indépendance de la Turquie, et qui par conséquent ne pouvaient voir avec indifférence la Russie chercher à obtenir subrepticement un protectorat virtuel sur les sujets chrétiens de la Porte[1].

Le rapprochement de ces deux pièces, la dépêche de lord Clarendon à lord Stratford pour décider la Porte à retirer les modifications, et les observations de M. de Nesselrode sur ces modifications, suffit pour faire comprendre que le commentaire Nesselrode tuait la note de Vienne. Les gouvernemens occidentaux, impatiens de la voir accepter par la Turquie, s’étaient portés garans d’une signification de la note favorable à l’indépendance du sultan : voilà que la Russie assignait à ce document un sens diamétralement contraire. Par un pareil éclat, la Russie mettait les puissances dans l’impossibilité de continuer leurs efforts auprès du divan. C’eût été désormais de leur part, au point de vue de leur propre dignité, une conduite ridicule et déshonorante, vis à vis de la Turquie un acte de déloyauté et d’improbité, que de continuer à insister pour l’acceptation pure et simple de la note de Vienne. Lord Clarendon exprima cette conviction définitive dans ses dépêches à lord Westmorland et à sir Hamilton Seymour.

Telle est l’histoire de la note de Vienne, enterrée par M. de Nesselrode. Qu’on nous permette d’apprécier le caractère de cet épisode des négociations, dont nous nous sommes borné jusqu’ici à exposer les minutieux incidens.

La note de Vienne a été, dans la crise ouverte par la mission du prince Menchikof, le moment le plus important et le plus décisif pour la négociation, celui où il a été le plus sérieusement possible, et de la façon la plus honorable pour tous, de conjurer par des moyens pacifiques l’orage qui éclate aujourd’hui. Aussi comprenons-nous sans peine l’anxiété avec laquelle l’empereur Nicolas dans sa lettre, et M. de Nesselrode dans son dernier mémorandum, repoussent et veulent rejeter sur les autres la responsabilité d’avoir fait avorter cette occasion unique d’assoupir les difficultés européennes suscitées par eux. Mais le gouvernement russe est retombé manifestement, à propos de la note de Vienne, dans la même faute qu’il avait commise par la mission du prince Menchikof et le dévoilement intempestif de ses desseins sur la Turquie.

Il y a beaucoup de choses en politique qui sont tolérées dans les faits, et qui soulèvent des contradictions invincibles, si on les expose à la discussion pour tenter de les ériger en droits et en principes. Le cardinal de Retz disait avec autant de bon sens que d’esprit, de ces choses-là, qu’elles ne s’accordent jamais mieux que

  1. The earl of Clarendon to sir H. Seymour, sept. 30. Corresp., part II, n° 117.