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de blâmer les objections des ministres turcs et de les presser d’accepter le projet de la conférence, elles mettaient une ardeur singulière à les persuader. Dans cet état de choses, pour peu qu’elle eût voulu sérieusement la paix, qu’avait à faire la Russie ? Elle avait évidemment un avantage incontestable de situation ; elle pouvait repousser les modifications turques, s’en tenir à l’admission pure et simple de la note de Vienne que l’empereur avait posée comme condition de sa propre acceptation, et confier aux quatre puissances le soin de vaincre les répugnances de la Porte, qui n’eût pu résister longtemps aux instances et aux assurances de l’Europe entière. La crise se fut terminée ainsi, et la Russie eût eu devant elle tout l’avenir pour faire produire à la note de Vienne les conséquences que ce document lui paraissait contenir à son profit.

L’empereur de Russie ne voulut pas se contenter du bénéfice de cette situation, qui lui permettait de concilier avec une si rare fortune l’ambition avec la prudence. Il ne lui suffit pas de rejeter les modifications turques ; il voulut signifier à l’Europe le sens qu’il attachait lui-même à la note de Vienne, et faire sortir immédiatement de cette œuvre des cabinets européens toute la portée des demandes du prince Menchikof. M. de Nesselrode fit communiquer à la conférence de Vienne par M. de Meyendorf, à M. Drouyn de Lhuys par M. de Kissélef, à lord Clarendon par M. de Brunnow, son commentaire sur les modifications turques. Nous venons de citer l’opinion détaillée de lord Clarendon sur chacune de ces modifications. Le ministre anglais se doutait peu, tandis qu’il écrivait ses explications pour convaincre la Porte, qu’au même moment M. de Nesselrode était occupé à donner à ces explications logiques et à ces sincères assurances les démentis les plus directs, les plus circonstanciés, les plus catégoriques. Qu’on en juge en comparant à la note de lord Clarendon que nous avons analysée la dépêche de M. de Nesselrode du 7 septembre :


« 1o Dans le projet de Vienne, il est dit : « Si à toute époque les empereurs de Russie tint témoigné leur active sollicitude pour le maintien des immunités et privilèges de l’église orthodoxe grecque dans l’empire ottoman, etc. »

« On modifie ainsi ce passage : « Si à toute époque les empereurs de Russie ont témoigné, leur active sollicitude pour le culte de l’église orthodoxe grecque. »

« Les mots : « Dans l’empire ottoman, » ainsi que ceux : « Le maintien des immunités et privilèges, etc., » ont été éliminés, pour être transposés plus loin et appliqués uniquement aux sultans. Cette omission ôte toute portée, tout sens même à la phrase tronquée, car personne assurément ne conteste aux souverains de la Russie leur active sollicitude pour le culte qu’ils professent