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même une certaine obscurité qui permit à chacune des deux parties de se croire après la note dans la même situation qu’avant, c’était tout ce qui suffisait à l’assoupissement de la querelle et à la paix.

Il faut pourtant reconnaître que la Porte avait plus que la Russie le droit de peser les termes qu’on lui proposait, et qu’elle était mieux placée que les quatre puissances pour en mesurer la portée. En premier lieu, c’était elle et elle seule que ces termes devaient engager. En second lieu, la subtilité avec laquelle la Russie avait déduit de ses anciens traités, du traité de Kainardji, par exemple, qui ne parlait en général que de la protection promise par le sultan à tous ses sujets chrétiens, un droit d’intervention et de protection dans les affaires des Grecs, — cet art subtil et envahissant devait rendre la Turquie circonspecte et défiante sur les mots qu’elle emploierait en traitant avec la Russie. Enfin, après les prétentions énormes émises par le prince Menchikof, il était bien naturel qu’elle prît garde que l’esprit des exigences russes ne se glissât dans l’acte qu’on lui proposait.

Or, qu’on se rappelle quel avait été l’objet pratique des prétentions de prince Menchikof, et sur quelles bases il avait appuyé ses prétentions. L’objet, c’était le protectorat des Grecs, et la Russie le réclamait en vertu de deux prétendus droits : l’un de ces droits, moral en quelque sorte, elle le tirait de la sollicitude qu’elle aurait portée en tout temps aux intérêts religieux des Grecs, si bien qu’à l’en croire, on eût dit que c’était à elle que les Grecs étaient redevables de leurs immunités et de leurs privilèges ; le second, dont elle s’efforçait de faire un droit positif, elle rempruntait au traité de Kainardji : l’esprit de ce traité, suivant elle, lui donnait à la protection des Grecs un droit que le prince Menchikof avait eu pour mission de préciser, d’étendre et de réglementer sous une forme nouvelle.

Eh bien ! dans trois passages de la note de Vienne, la Porte craignit de voir ce qu’on pourrait appeler les instrumens et l’objet des prétentions russes. Dans le premier, il était dit : « Si à toute époque les empereurs de Russie ont témoigné leur active sollicitude pour le maintien des immunités et privilèges de l’église grecque orthodoxe dans l’empire ottoman, les sultans ne se sont jamais refuses à les consacrer de nouveau par des actes solennels. » Il y avait dans cette sorte de parallèle entre les empereurs de Russie et les sultans quelque chose qui effarouchait les ministres turcs. Cette rédaction ne semblait-elle pas reconnaître aux Russes une part dans l’initiative des mesures qui ont établi les privilèges religieux des Grecs ? La sollicitude des empereurs de Russie ne s’était manifestée que depuis cent ans ; depuis quatre siècles, l’église grecque avait reçu des sultans ses immunités. La Porte croyait donc exprimer plus fidèlement la vérité sur le passé et mieux fixer ses sûretés pour l’avenir en corrigeant