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que la Porte pourrait accepter la note en se réservant d’interpréter en sa faveur les passages qui soulevaient ses objections, et en soumettant cette interprétation à l’assentiment des puissances alliées qui garantiraient ainsi le sens de la note de Vienne. Le 15, tandis que le conseil était assemblé, lord Stratford fit communiquer cette idée par l’un de ses drogmans à Rechid-Pacha. La proposition n’eut pas de succès auprès des ministres turcs. Lord Stratford essaya du moins d’obtenir de la Porte une acceptation quelconque de la note en principe, de telle sorte que les puissances pussent reprendre la discussion sur les points douteux[1]. Ce fut le parti auquel s’arrêta le gouvernement turc ; il proposa trois modifications à la note de Vienne, et dans un mémorandum très habile et très mesuré, Rechid-Pacha expliqua et justifia auprès des puissances le sens et l’objet de ces modifications. Cette décision fut votée à l’unanimité dans un conseil de soixante membres ; elle n’était que l’écho très affaibli du sentiment public à Constantinople[2].

Avant de dire l’impression produite sur les gouvernemens européens par l’acceptation conditionnelle de la Porte, nous allons essayer de préciser le sens des modifications demandées par le gouvernement turc.

Depuis l’origine de cette question, depuis que le prince Menchikof avait demandé à la Porte un engagement qui conférât explicitement à la Russie le protectorat religieux des Grecs, il y avait un point acquis, c’est qu’aux yeux des quatre puissances demeurées alliées de la Turquie, une pareille prétention était incompatible avec l’indépendance et la souveraineté du sultan. Le refus de la Porte avait été approuvé par les quatre puissances ; aucune d’elles ne pouvait avoir par conséquent la pensée de proposer à la signature de la Porte un acte qui de près ou de loin pût aboutir pratiquement au résultat poursuivi par le prince Menchikof. En cherchant des expédiens et en élaborant le projet de Vienne, les puissances n’avaient pu avoir qu’un seul but : satisfaire l’amour-propre mal engagé de l’empereur de Russie par une notification qui de la part de la Porte n’eût été qu’un acte de déférence envers la Russie, mais qui ne devait entraîner aucun démembrement de la souveraineté du sultan dans ses rapports avec ses sujets grecs. Que les termes de cet acte fussent disposés de manière à ne point heurter les prétentions contradictoires des deux états en lutte, la Turquie et la Russie, qu’ils fussent combinés avec assez d’art pour effacer en quelque sorte la question périlleuse que le prince Menchikof avait soulevée, qu’on y laissât

  1. Lord Stratford to the earl of Clarendon, august 18. Corresp, part II, n° 69.
  2. Lord Stratford to the earl of Clarendon, august 20. Corresp., part II, n° 71.