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ses ministres, et que, dans le cas où le gouvernement ottoman rejetterait encore ce dernier projet d’arrangement, nous ne nous considérerions plus comme liés par le consentement que nous y donnons aujourd’hui.

« Si l’Europe a besoin, comme on ne cesse de nous le dire, de voir se terminer la crise qui menace l’Orient, c’est à Constantinople que doivent s’adresser à l’avenir les bienveillans et pacifiques efforts des grandes puissances, que nous secondons de notre côté par tous les sacrifices compatibles avec la dignité de la Russie et la justice de la cause dont elle a du prendre en mains la défense[1]. »


Ainsi s’exprimait l’adhésion de la Russie. On remarquera le ton de hauteur du ministre russe. En acceptant une base d’arrangement, il avait l’air de faire une grande grâce aux anxiétés de l’Europe, et il lui dictait la conduite qu’elle avait à tenir à Constantinople. On va voir que l’Europe n’avait pas besoin de cet avertissement altier pour presser la Porte d’accepter la note de Vienne. Nous ne connaissons point le langage que tinrent à Rechid-Pacha M. de Lacour et M. de Bruck ; mais, par les dépêches publiées de lord Stratford, nous pouvons juger de la vivacité des instances qui furent faites auprès de la Porte.

On avait appris le 11 août à Constantinople l’acceptation de la Russie. Le lendemain matin de bonne heure, lord Stratford, qui venait de recevoir des dépêches pressantes de lord Clarendon, se rendit auprès de Rechid-Pacha. Il appela son attention sur le prix que l’Angleterre, la France, l’Autriche et la Prusse attachaient au consentement de la Porte ; il lui représenta les nombreux et puissans intérêts qui devaient engager le gouvernement turc à satisfaire au vœu de ses alliés et à prendre sans délai un parti. Rechid-Pacha écouta lord Stratford très gracieusement, mais lui présenta des objections sur trois phrases du projet de note. Nous expliquerons bientôt ces objections, qui furent la base des modifications turques ; du reste il assura lord Stratford qu’il allait soumettre la question au conseil, et qu’il ferait une prompte réponse aux représentans des quatre puissances[2]. En effet, le lendemain le conseil fut appelé à discuter la note de Vienne. Tous les ministres, au nombre de dix-sept, y assistaient ainsi que le cheik-ul-islam. La majorité du conseil se prononça pour le rejet de la note, même amendée. Rechid-Pacha fit observer cependant que le projet de la conférence était fondé en partie sur la note qu’il avait lui-même préparée pour le prince Menchikof ; le conseil s’ajourna pour prendre le temps de comparer les deux textes[3]. Lord Stratford ne se découragea point ; il lui sembla

  1. Corresp., part II, n° 56.
  2. Lord Stratford to the earl of Clarendon, august 13. Corresp., part II, n° 67.
  3. Lord Stratford to the earl of Clarendon. Corresp., part II, n° 68.