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le contraire. Je n’y pensais plus, à celle chanson. Pour que cette jeune fille l’ait reconnue, comme le dit Jacques, il faut bien que son cousin la lui ait donnée… Eh bien ! qu’est-ce que cela prouve ? se demanda-t-il à lui-même, très étonné en remarquant que depuis quelques heures Mlle Bridons ou ce qui se rattachait à elle n’avait pas cessé d’occuper sa pensée. — C’est à peine si j’ai vu le paysage depuis La Meilleraye, se dit-il avec reproche.


III. – LE CIMETIERE.

Selon l’indication que lui avait donnée Jacques, Antoine se rendit à la petite église qui est voisine de la jetée, et située au milieu du cimetière. Comme il y entrait, il aperçut de loin M. Bridoux et sa fille agenouillés devant une chapelle, à la voûte de laquelle étaient suspendus de nombreux ex voto en forme de navires, déposés là par la piété des riverains, la plupart pêcheurs ou marins. Antoine fut contrarié de rencontrer les deux passagers du remorqueur. — J’ai l’air de les avoir suivis, pensait-il. Il eut un instant l’idée de se retirer ; mais il fit cette réflexion, qu’une église étant une curiosité artistique, il était très naturel qu’elle attirât un étranger de passage, et il s’avança dans la petite basilique, qui est d’une date déjà ancienne.

L’une des cinq ou six chapelles latérales était placée sous l’invocation de la patronne de sa grand’mère. La bonne femme avait une vénération particulière pour cette sainte, et son habitude était de lui faire brûler un cierge tous les dimanches, lorsqu’elle allait entendre la messe dans une paroisse éloignée de son quartier où sa patronne avait un autel. Antoine n’était pas dévot ; c’était un des mille indifférens comme la jeunesse moderne en compte tant dans toutes les classes. Cependant il n’avait jamais pensé et on ne lui avait jamais entendu dire rien qui pût blesser les choses saintes ; il avait surtout un profond respect pour la foi réelle de sa grand’mère, et il lui vint l’idée de faire pour elle et en son nom ce qu’elle n’eût pas manqué de faire, si elle se fût trouvée où il se trouvait. Antoine chercha des yeux s’il n’apercevrait pas un bedeau pour faire ajouter un cierge à ceux qui brûlaient à demi consumés sur l’if de la chapelle. Un petit garçon de huit ou neuf ans, vêtu comme les enfans de chœur, sortit au même instant de la sacristie ; Antoine l’appela par un signe et lui exprima son désir.

— Vous voulez faire un cierge ? dit l’enfant ; le père Boisseau n’y est pas ; mais je sais où il met sa boite. La voulez-vous grosse, la chandelle ?

— Comme celles qui sont là, répondit Antoine en montrant l’if.