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— Mais si cela vous ennuyait, il ne fallait pas l’écouter, monsieur, dit tranquillement Antoine.

— Mais ce n’était pas possible, répliqua le capitaine sans se formaliser de l’interruption. Figurez-vous que le gaillard m’avait jeté le grapin après mon habit ; il a fallu tout avaler. Par exemple, s’il lui prend la fantaisie de recommencer tantôt, je le fais fourrer dans la soute au charbon.

Comme le capitaine achevait de parler, Antoine, en levant les yeux sur la glace qui était au fond du comptoir, aperçut Hélène qui se tenait debout sur le seuil de l’auberge. À la confusion peinte sur son visage et à ses manières embarrassées, le jeune homme devina qu’elle avait dû entendre les propos tenus par le capitaine sur le compte de son père.

— Qu’y a-t-il pour votre service, mademoiselle ? demanda sèchement l’aubergiste.

— Pardon, monsieur, répondit Hélène ; c’est que j’ai oublié mon ombrelle dans la chambre ; si vous vouliez avoir la bonté de l’envoyer chercher.

— Voilà la clé de la chambre, dit l’hôtelier en jetant une clé sur le comptoir ; montez vous-même.

— Ne vous donnez pas la peine, mademoiselle, interrompit Antoine en prenant la clé ; j’ai quelque chose à aller chercher chez moi ; je descendrai votre ombrelle en même temps.

Avant qu’elle eût pu accepter cette complaisance, Hélène vit Antoine disparaître ; dans l’escalier. Jacques l’avait regardé tout étonné. — C’est pour l’instant que la jeune personne aurait besoin d’ombrelle, dit le capitaine tout bas à l’oreille du sculpteur, car elle a l’air de piquer un fameux coup de soleil.

La phrase n’était pas achevée, qu’Antoine était redescendu et remettait à Hélène l’objet oublié par celle-ci.

— Qu’aviez-vous donc laissé dans votre chambre ? lui demanda Jacques avec une intention malicieuse.

— Mon album, répondit Antoine.

— Décidément, vous n’avez pas de chance avec vos albums ; vous les oubliez partout, dit le sculpteur assez haut pour être entendu de Mlle Bridoux, qui était à peine sortie.

— Allons, mes enfans, et vous, messieurs, en route ! dit le capitaine en s’adressant aux pilotes et à ses passagers.

On gagna le canot de l’Atlas, mouillé à quelques toises de la rive. M. Bridoux et sa fille étaient déjà dans le canot, qui accosta l’Atlas en quelques coups d’aviron. Le remorqueur ne possédait pas d’escalier d’embarquement ; deux ou trois tassaux espacés le long du bordage formait une saillie qui suffisait aux matelots pour monter