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un tel assemblage de qualités solides ou brillantes. Joseph, aux manières naturellement royales, juge avec une rare sagacité la politique dont il est l’instrument et la victime[1]. Si Lucien avait les vivacités et les soubresauts d’une nature méridionale, il en avait aussi les qualités fortes et éclatantes. Le seul tort du roi Louis de Hollande fut d’avoir été le meilleur des Hollandais. Murat était le plus brillant des paladins, et les fautes du prince furent lavées dans le sang du soldat : enfui autour de ce trône, dont la grâce douce et molle de Joséphine tempérait l’éclat sévère, on voyait une princesse belle comme Cléopâtre, une autre ambitieuse comme Agrippine. Néanmoins ces qualités, toutes réelles qu’elles fussent, n’empêchèrent pas, nul ne l’ignore, la famille Bonaparte d’être pour son chef, de l’érection du consulat au déclin de l’empire, l’occasion des plus sérieuses et des plus persistantes difficultés. Les frères de Napoléon ne pouvaient avoir manifestement en France qu’une importance de reflet, et leur situation les condamnait à servir leur frère jusque dans ses fautes.

C’est contre ce rôle forcé qu’ils s’élevèrent avec une persistance plus honorable que politique. Nulle part plus que chez les rois de la dynastie napoléonienne, le système qui prévalut de 1805 à 1812 ne fut énergiquement improuvé, et quelquefois combattu. L’idée d’avoir, comme grands dignitaires de l’empire français, un service à faire aux Tuileries, leur paraissait profondément blessante pour les sujets sur lesquels on les envoyait régner, et la doctrine fondamentale de l’empereur n’était par eux ni acceptée ni comprise. Il semble donc difficile d’associer ces deux points de vue, et ceci ne contribue pas peu à diminuer l’intérêt qui s’attacherait naturellement aux documens réunis dans l’Histoire de Napoléon et de sa famille. Prises dans les portefeuilles de la famille de Napoléon, dans ceux des nombreux compatriotes associés à ses travaux et à sa fortune depuis sa sortie de la Corse, ces correspondances sont malheureusement tronquées au gré des convenances de l’écrivain, au lieu d’être publiées dans la forme qu’a su leur donner M. Ducasse pour les lettres du roi Joseph. M. Bégin affronte d’ailleurs deux périls également redoutables : sa philosophie de l’histoire poursuit la formule sans la rencontrer, et quand il ouvre toutes ses voiles au souille de la poésie épique, son esquif côtoie parfois l’écueil placé à un pas du sublime. Ce livre donc, malgré un bon vouloir si peu équivoque, constate que mieux vaut pour le règne de Napoléon s’en tenir aux histoires écrites que de les recommencer.

Nous voici parvenus à la fin d’un travail dont nos lecteurs ont pu mesurer les difficultés. Nous l’avons abordé avec cette indépendance

  1. La Revue consacrera bientôt un travail spécial à la Correspondance du roi Joseph.