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et de la paix l’emportait si décidément au sein des sociétés modernes malgré les agitations civiles, que le guerrier présentait tous ses anciens plans de conquête comme destinés à aboutir très prochainement dans sa pensée à une pacification universelle et à une vaste réorganisation de l’Europe sous l’empire des mêmes lois, des mêmes idées, des mêmes intérêts. Pour répondre aux hommages quotidiens des éloquens tribuns passés de ses camps dans les assemblées politiques, il se disait quelquefois le plus libéral des hommes, et il prenait la peine de tracer pour ses successeurs l’esquisse d’une constitution où ne manquait rien de tout ce qu’il avait proscrit lui-même. Vaines hypocrisies du génie, doublement inutiles devant le passé et devant l’avenir ! Pour s’emparer sans condition de celui-ci, Napoléon n’avait d’ailleurs qu’à mourir. Sa vie tumultueuse s’éteignit dans une tempête[1]. « Tandis qu’il mourait, dit l’auteur de la nouvelle Histoire de la captivité de Sainte-Hélène, un violent ouragan balayait l’île, ébranlait beaucoup de maisons jusque dans leurs fondemens et déracinait quelques-uns des plus grands arbres. Au milieu des fureurs et des hurlemens de la tempête, on eût dit que l’esprit des orages, porté sur les ailes du vent, courait apprendre au monde qu’un être puissant tenait de descendre dans les sombres abîmes de la nature[2]. Les élémens en guerre au dehors étaient aussi l’emblème des dernières pensées du grand capitaine expirant : elles se tournaient vers la lutte des champs de bataille, et ce fut avec ces mots <i tête, armée » sur les lèvres que son esprit passa pour jamais des rêves terrestres de la complète devant son créateur et son juge[3]. »

Ce juge, dont il avait été l’instrument parfois redoutable et toujours visible, avait touché le cœur du conquérant et fait fléchir sa fière intelligence sous la foi des humbles et des petits. En grandissant son nom dans l’imagination des peuples, ses tortures avaient épuré son âme, et Dieu lui avait épargné ce dernier malheur d’être impunément visité par le sort. Un pauvre prêtre italien, d’un esprit inculte et vulgaire, reçut à la veille du jour suprême ces derniers aveux qui consolent la terre et réjouissent le ciel. Grâces soient rendues à M. de Montholon d’avoir sur ce point levé tous les doutes, et révélé le secret de ces entretiens, dans lesquels un obscur ministre de la religion lit plus pour le grand homme que n’avait fait le pontife qui descendit des hauteurs du Vatican pour lui poser sur le Iront la première couronne de l’univers !

  1. 5 mai 1821.
  2. A mighty power had passed away
    To breathless nature’s dark abyss.
  3. Histoire de la Captivité de Napoléon, d’après les documens officiels inédits et les manuscrits de sir Hudson Lowe, publiée par William Forsyth ; tome III, chap. XXX.