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tour l’amphictyonie européenne : après 1830, elle s’appela la conférence de Londres ; avant l’attentat commis par l’ambition russe contre le repos du monde, elle se nommait encore la conférence de Vienne. Tel avait donc été le résultat définitif de tant d’efforts faits au rebours des tendances naturelles du XIXe siècle : l’unité de l’Europe était constituée, mais elle était constituée contre la France !


II

Ce fut devant l’esprit nouveau dont la charte constitutionnelle était l’expression à l’intérieur, et devant l’union des grandes puissances dont le congrès de Vienne posait alors les bases, qu’échoua cette tentative des cent-jours, la plus hardie qu’une armée ait jamais faite pour imposer sa pensée. En abdiquant à Fontainebleau, afin de se dégager autant qu’il était en lui de toute solidarité dans les sacrifices imposés à la nation, l’empereur avait pressenti que les difficultés qu’allaient rencontrer les Bourbons pourraient rendre bientôt une chance à sa fortune. Ces difficultés étaient grandes en effet : elles résultaient en partie des exigences de leurs vieux serviteurs, qui, tout étrangers qu’ils eussent été par le fait au grand événement de la restauration, se croyaient le droit de l’interpréter dans le sens des doctrines pour lesquelles ils avaient si longtemps souffert ; elles provenaient plus encore des inquiétudes que l’on s’efforçait d’inspirer à tous les intérêts issus de la révolution, des blessures le plus souvent involontaires qui atteignaient les souvenirs ou les amours-propres. Au milieu d’obstacles inextricables et de mauvais vouloirs permanens, dans un pays où les vanités inquiètes formaient comme le fond de l’esprit public, il était impossible que le gouvernement du roi Louis XVIII ne commit pas des fautes, et ce prince eut l’honneur et le mérite de les confesser[1] ; mais les obstacles innombrables semés sous les pas des Bourbons rendaient leur gouvernement difficile sans rendre pour cela le rétablissement du régime impérial plus possible. La révolution acceptait fort bien le grand nom de l’empereur comme le levier le plus puissant pour battre en brèche la monarchie, mais elle entendait subordonner Napoléon au rôle d’auxiliaire contre des adversaires communs, sans le subir désormais comme un maître pour elle-même. Elle espérait profiter de son bras pour faire un 18 brumaire contre les royalistes, tout en se réservant de le lier lorsqu’il s’agirait de reprendre l’exercice du pouvoir. L’Europe, de son côté, considérait le rétablissement de l’empire comme incompatible avec son indépendance et avec le nouvel état politique des peuples ; un tel événement, provoqué par une insurrection militaire au mépris d’un traité

  1. On peut voir nos études sur la restauration dans la Revue du 13 mai et 15 juin 1852.