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impuissant par lui-même, que le retour de l’empereur pour faire marcher l’empire serait bientôt devenu une nécessité manifeste. L’un des inconvéniens des grands hommes, c’est de ne pouvoir être ni suppléés ni remplacés. C’était à cette conviction seule que cédait l’Autriche, lorsqu’elle abandonnait, avec une facilité qui a été peu comprise, les intérêts de l’enfant pour lequel les devoirs de la politique n’empêchaient pas François II d’avoir des entrailles de père. Si M. le prince de Metternich avait cru à la possibilité d’organiser sérieusement un gouvernement de minorité en France en 1814, sous la direction d’une archiduchesse d’Autriche, on peut penser que nul ne l’aurait souhaité aussi ardemment que lui. Il était, alors sans engagemens avec les princes de la maison de Bourbon, et il avait d’étroites liaisons personnelles avec ceux de la famille impériale ; mais sa sagacité entrevoyait fort bien l’empereur derrière la régence, et il pressentait que celui-ci, après une retraite plus simulée que réelle, s’efforcerait bientôt de briser les liens dans lesquels on avait enchaîné ses aigles. La régence courait donc grand risque de n’être qu’une trêve, tandis que la France comme l’Europe voulaient la paix. Ce fut pour fonder celle-ci sur des bases plus stables qu’on écarta un nom qui, du vivant de l’empereur, ne pouvait avoir désormais qu’une signification indélébile.

Comme tous les grands événemens de l’histoire, ceux du mois d’avril 1814 sortirent donc du courant général des intérêts et des idées bien plus que des mouvemens des hommes qui s’agitaient alors pour les provoquer. Pour colorer aux yeux des masses les malheurs de nos armes, pour leur en voiler les causes véritables, on a bien pu en 1815 les attribuer à l’inertie du duc de Castiglione à Lyon et à la trahison du duc de Raguse à Paris ; mais Augereau aurait été un général au lieu de n’être qu’un brave soldat, et Marmont aurait, après l’investissement de Paris, couvert Fontainebleau de son corps d’armée, que le sort de la France n’aurait pas été changé. Epuisé de sang, le pays n’avait plus que des enfans et des vieillards à envoyer sous la mitraille, et le patriotisme y avait fléchi sous le désespoir. Quelques abbés ambitieux et quelques conventionnels repentans ne se seraient pas réunis à l’hôtel de la rue Saint-Florentin pour y préparer la restauration, que les exigences des chancelleries n’en auraient pas moins acculé l’empereur à une extrémité inacceptable pour lui, et que la force des choses aurait amené le pays à s’ouvrir des horizons nouveaux. En séparant depuis le passage du Rhin la cause de Napoléon de celle de la France avec une persistance calculée, la coalition avait fait à l’empire, par ses déclarations, une guerre plus dangereuse que celle qu’elle poursuivait par ses armes. C’était désintéresser habilement l’amour-propre de la nation de ses défaites et la conduire graduellement