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contre six, que l’agonie du bon fût redoutable à ses agresseurs, et que par des succès partiels il mît le sceau à sa renommée militaire ; ces succès demeuraient stériles, puisque l’union de l’Europe était désormais inaltérable, et ils n’empêcheraient pas, en définitive, la victoire de rester aux gros bataillons. Il ne s’agissait donc que d’attendre quelques mois, quelques semaines peut-être, pour être en mesure de dicter à la nation qui depuis vingt-cinq ans bouleversait le monde des conditions de nature à garantir enfin la sécurité commune. Telle fut la pensée apportée par lord Castlereagh sur le continent, pensée qui prévalut au congrès de Châtillon en janvier 1814.

Cette doctrine, acceptée par la Russie et par l’Autriche, décida de la destinée de Napoléon, car elle impliquait un changement de dynasties, quoique une telle conséquence ne fut alors nettement entrevue ni par les trois grandes cours continentales ni par l’Angleterre elle-même. Il est dans les idées une logique secrète qui chemine à travers nos incertitudes, pour éclater tout à coup avec la puissance d’une irrésistible nécessité. Du moment que les exigences de l’Angleterre l’emportaient dans les conseils de la coalition, que les puissances alliées proclamaient le principe qu’il fallait faire rentrer la France dans ses anciennes limites historiques, cette déclaration plaçait l’empereur Napoléon dans l’alternative d’une résistance militaire d’un succès impossible, ou d’une abdication commandée par son honneur, peut-être même par l’intérêt éventuel de son avenir. L’empire était impossible à ce prix, car la paix devenait contre l’empereur une condamnation directe et personnelle. Un pouvoir étranger aux événemens qui avaient provoqué ces extrémités pouvait seul en supporter le poids, parce qu’il en déclinait la solidarité. À l’insu de la plupart des diplomates qui les signaient, la restauration sortit donc des protocoles de Châtillon beaucoup plus que des intrigues qu’on pouvait alors nouer à Paris pour la préparer. Loin d’avoir amené l’amoindrissement du territoire, le rétablissement de la monarchie traditionnelle fut une conséquence tirée par la nation elle-même des sacrifices imposés par le sort de la guerre, et la France accueillit ce rétablissement dans l’espoir, que justifia d’ailleurs en partie le traité du 30 mai 1814, de rendre ainsi les conditions de la paix moins humiliantes pour son amour-propre et moins préjudiciables à ses intérêts.

Ce que l’empereur Napoléon représentait depuis quinze ans aux yeux du peuple et de l’armée lui rendait impossibles des concessions qui, à l’extrémité où l’on était alors conduit, pouvaient être considérées comme naturelles pour un gouvernement qui se rattachait par son origine aux vieilles traditions du pays, et qui demeurait en dehors de toute responsabilité dans les événemens récemment