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Quelques mois avant sa chute, l’empereur avait été amené par le cours irrésistible des événemens à rendre au pape la liberté de retourner en Italie, et à négocier avec Ferdinand VII sa rentrée dans cette Espagne qui refoulait alors vers les Pyrénées nos soldats, moins humiliés de leurs défaites que du motif qui les avait si tristement provoquées ; Il voyait la cause de l’empire désertée par des populations qu’on tenait pour pleinement assimilées à la France, et rencontrait des princes de sa famille aux premiers rangs de la ligue formée contre lui. Le système des royautés vassales avait abouti aux amères déceptions du roi Joseph, à la noble retraite du roi Louis, à l’attaque des Bavarois qu’allait suivre celle des Saxons, à la défection du roi de Naples et à l’implacable poursuite de Bernadette ! Et cependant, en présence de tant de démentis donnés par la réalité aux théories, la pensée de Napoléon, identifiée avec son œuvre, caressait encore, entre le désastre de la Bérésina et celui de l’Elster, le fantôme auquel il avait sacrifié et la gloire la plus solide et l’avenir le plus assuré !

À Prague[1], au lendemain de l’attaque de la Prusse, à la veille de la déclaration de l’Autriche, qu’allait suivre le soulèvement de l’Allemagne tout entière, l’empereur se berçait de l’espérance de traiter directement avec la Russie, en lui abandonnant le duché de Varsovie, objet de si longues et si vives appréhensions, et croyait possible de séparer des cabinets entre lesquels il avait formé lui-même pour un long avenir le lien d’une alliance dont le mobile permanent devait être la mise en suspicion de la France. Six mois plus tard, à Francfort, après qu’une nouvelle et magnifique armée, sortie comme par miracle des entrailles de la patrie, eut été anéantie à Leipzig, il estimait encore possible de sauver au moins le cadre du grand empire, en sacrifiant seulement ses plus lointaines superfétations, en désintéressant le patriotisme germanique par une renonciation à toute ingérence dans les affaires de l’Allemagne. Aussi, malgré l’épuisement de ses cadres et l’urgence de défendre le sol français, maintenait-il d’immenses et inutiles garnisons dans des places frontières où l’héroïsme de nos soldats conservait seul, contre les populations soulevées, le glorieux signe de notre domination évanouir. L’empereur ne voyait pas que le résultat principal de sa longue domination avait été de constituer contre la France l’unité de l’Europe, et que sous la nouvelle et irrésistible impulsion imprimée à l’opinion publique, des bords de la Tamise à ceux de la Neva, il n’y avait pas plus de négociation séparée à espérer avec l’Autriche qu’avec la Russie ; le gendre de l’empereur François II avait en effet disparu devant l’ennemi du continent.

  1. Juillet 1813.