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mauvaise voie par un Iago de bas étage, intéressé à le perdre pour la posséder… Bref, après un moment d’hésitation, la pitié l’emporta. Joe déclara ne pouvoir attester sous serment qu’il reconnût l’un ou l’autre des trois prévenus. Ce charitable mensonge termina tout, car on n’avait contre eux aucune des preuves qui auraient pu suppléer le témoignage du plaignant. Les trois voleurs de grand chemin sortirent de Bow-Street plus blancs que neige.

Le lendemain cependant, l’un d’eux, — on devine lequel, — venait humblement remercier son sauveur, qui profita d’une si favorable occasion pour arrêter sur la pente fatale ce novice criminel. Il l’éclaira sur les sinistres projets tramés contre lui et contre sa femme, lui fit entrevoir les effroyables suites des coûteuses dissipations auxquelles il se laissait aller depuis quelque temps, et le renvoya, dit l’histoire, complètement ramené au bien. Pendant plus de vingt ans, Hamilton vécut en parfait honnête homme ; sa mort fut héroïque. Il périt en voulant arracher d’une maison incendiée deux pauvres enfans que les flammes allaient atteindre.

« Pendant les douze années qui suivirent la scène de Bow-Street, raconte Dickens, Grimaldi donnait chaque année trois représentations à bénéfice : deux à Sadler’s Well. Une à Covent-Garden. Le matin de chacune, et de très bonne heure, quelqu’un se présentait chez lui pour prendre dix billets de loges, les payait au prix fixé par l’affiche, et se retirait immédiatement, avec aussi peu de bruit que possible. Cette circonstance n’avait rien d’assez remarquable pour éveiller l’attention de Grimaldi, habitué aux demandes de ce genre, émanées d’amis qui désiraient garder l’anonyme. On s’y était même si bien accoutumé chez lui, qu’en répartissant d’avance les billets de ces sortes de représentations, sa femme mettait de côté, sur un coin de la cheminée, ceux que viendrait prendre, à coup sûr, le gentleman inconnu. Un jour cependant ; — après douze ans écoulés, — il arriva que Grimaldi, recevant de sa domestique le prix des dix billets qu’elle avait livrés le matin, s’avisa de lui demander quelle tournure pouvait avoir la personne qui était venue les chercher.

« — Vraiment, je ne sais trop, répondit cette fille, embarrassée… Je n’ai rien remarqué de ce monsieur, si ce n’est…

« — Si ce n’est quoi ?

« — Si ce n’est, monsieur, qu’il a trois doigts de moins à la main gauche… »

Avant de clore cette série de souvenirs autobiographiques, nous rappellerons encore que Grimaldi était reçu avec toute sorte de bontés et d’égards dans plus d’une résidence aristocratique, notamment à Berlemley-Castle, et qu’il chassa le lièvre maintes fois en compagnie des plus grands seigneurs de la pairie anglaise, ce qui caractérise assez nettement la manière dont on comprend chez nos orgueilleux voisins certaines combinaisons de la hiérarchie sociale. Un