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dans tout le cours de son aventureuse carrière, certain d’avance que la vie anglaise, ainsi observée par les yeux d’un clown, nous livrera quelques-uns de ses plus curieux aspects. Il arrive d’ailleurs, et l’on s’en apercevra bientôt, que le hasard, en semant d’incidens étranges, de rencontres dramatiques, de péripéties bizarres l’existence de ce comédien, semble s’être complu à lui faire un sort doublement bois ligne, et à le désigner ainsi doublement à l’attention des biographes.

En fouillant bien les archives de notre Théâtre-Italien, vous y trouverez, à nous ne savons trop quelle date, — mais dans la première moitié du XVIIIe siècle, — le souvenir d’un certain Grimaldi, surnommé Jambes-de-Fer, lequel, dansant un jour à Paris devant le représentant diplomatique de la glorieuse Porte et peut-être électrisé par la présence de ce notable personnage, vint à heurter, dans un de ses bonds prodigieux, le lustre de cristal qui pendait alors au-dessus de la scène même. Une des girandoles se détacha, et, suivant l’énergique impulsion qui lui avait été communiquée, alla frapper en plein visage son excellence turque, qui, indépendamment de son nez meurtri, faillit en rester borgne. Elle jugea que, préméditée ou non, une pareille atteinte à l’inviolabilité de sa personne devait être solennellement expiée, et porta plainte au ministère, qui, prenant fait et cause pour la Turquie, força Grimaldi à s’excuser publiquement envers l’ambassadeur. Ceci dut être aussi comique pour le moins que la scène où Scapin demande à Géronte de lui pardonner certains coups de bâton malencontreux, — et par des vers composés à cette occasion, il demeure bel et bien constaté que les rieurs, cette fois, ne furent pas du côté du plus fort.

Grimaldi Jambes-de-Fer eut un fils, Giuseppe Grimaldi, lequel, après avoir longtemps couru les foires d’Italie et de France, alla finalement, vers 1755, s’établir en Angleterre, où les danses dites de caractère et les ballets-pantominies furent d’abord introduits au Théâtre du Roi, dans Haymarket, et arrivèrent enfin, en 1755, à prendre leurs grandes lettres de naturalisation, lorsque Garrick, alors directeur de Drury-Lane, les inaugura sur son théâtre. Guiseppe Grimaldi fit ainsi son entrée sur la scène anglaise, et les critiques du temps, — au moins celui de la London Chronicle, — ne lui trouvèrent qu’un défaut : — on lui reprocha « d’être trop comique. » Que d’acteurs, que d’écrivains même, encourraient volontiers