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et profita des inimitiés qu’elle avait excitées pour se délivrer d’elle. Un jour que peu de membres étaient présens, il fit proposer et voter la dissolution volontaire de l’assemblée. L’orateur la prononça et se rendit avec les votans auprès de Cromwell pour lui faire approuver cette abdication parlementaire et accepter le titre de lord protecteur. Cromwell parut surpris, ému, et ne céda qu’aux conseils et aux remontrances. L’expulsion du parlement croupion avait été un acte de violence ; la dissolution du parlement des saints fut un tour d’adresse.

L’instrument d’état voté par une minorité obtint bientôt jusqu’à quatre-vingts adhésions, et Cromwell, entouré de son état-major, fit proclamer en présence, des juges et des magistrats de la Cité cette charte d’un nouveau genre portant établissement d’un régime parlementaire où le protecteur, son conseil et une assemblée élective représentaient les trois pouvoirs de la monarchie. Ainsi, tandis qu’en fait il ne pouvait supporter la résistance ou la dissidence d’un corps délibérant, il se sentait contraint de revenir dans tout programme organique aux idées anglaises d’un gouvernement divisé et délibératif. Si d’ailleurs, par cette constitution nouvelle, il acceptait des limitations qu’il ne devait pas endurer longtemps, il élevait et le titre, et la sphère, et le caractère de son autorité. Au nom près, il devenait roi.

Et de ce jour il agit en roi. La fidélité à sa personne devint une vertu légale et publique ; le complot contre sa personne devint haute trahison. Souvent menacé de renversement et d’assassinat, bien défendu par la vigilance de l’espionnage et la promptitude de la répression, il sut cependant n’être pas persécuteur. Peu à peu il prit envers l’étranger l’attitude de la souveraineté ; l’Europe apprit à le connaître, et crut de loin l’apercevoir sur un trône. Peu s’en fallut qu’il ne fit la même illusion au premier parlement qu’il réunit (septembre 1654). Ce fut cependant encore par une harangue improvisée dans le ton de sa correspondance et de sa conversation qu’il ouvrit cette session si tôt abrégée. Son discours fut bien accueilli ; mais tel était l’indomptable esprit parlementaire qui domine ce peuple, que la chambre commença par mettre en question la charte octroyée ou imposée en vertu de laquelle elle était élue. Elle affirma ses droits de par sa propre autorité et fit revivre en principe l’autonomie de la république. Surpris et irrité, Cromwell ferma aux membres les portes de leur palais et les convoqua chez lui. Il se plaignit, il protesta, il exigea une mutuelle confiance, et leur fit signer individuellement une adhésion à sa manière de gouverner. Cent environ sur quatre cents refusèrent leur signature, et s’exclurent ainsi du parlement. Ceux qui restèrent avaient plié, ils ne s’étaient pas rendus. Quand on leur demanda de déclarer la première magistrature héréditaire, il la voulurent élective. Quand on réclama pour le protecteur un