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en les faussant, on s’est efforcé d’en conserver un simulacre ; on a conservé le nom ou observé les formes de ces conventions fondamentales qui sont la garantie d’une société régulière : on s’est modéré dans la violence et contenu dans le désordre ; mais les difficultés et les périls croissent, la modération semble entretenir la résistance. Alors la patience échappe au parti de l’attaque ; soit la peur, soit la colère, l’emporte aux dernières extrémités, et la raison d’état ne manque pas d’arriver aussitôt avec son ordinaire cortège de sophismes. Elle explique, elle colore, elle justifie, elle exalte l’œuvre de la passion et de la vengeance. La nécessité est invoquée. Tout était perdu ; il a fallu sauver l’état, la cause, la patrie, la société, la révolution, et le crime se donne pour du dévouement.

Le grand danger des révolutions (je parle de celles qui sont justes), c’est qu’étant nécessairement dirigées contre tout ou partie de l’ordre établi, elles ne peuvent même commencer sans attaquer ou la loi ou l’apparence de la loi, quelque chose enfin qui, fût-il absurde et inique en soi, a dû être longtemps respecté à titre d’institution. Une fois le premier coup porté, la brèche est faite. Il est difficile qu’un entraînement qui ressemble à la logique, qu’une fatalité comme elle aveugle et irrésistible ne conduise pas à la violation des dernières garanties sociales. Ce qu’il était légitime et nécessaire de détruire pour le succès d’une révolution légitime et nécessaire ne pourrait être déterminé avec mesure que par un juge impartial et clairvoyant, et c’est dans la mêlée des événemens que la raison troublée doit fixer ce point qu’il faut atteindre et ne pas dépasser. Les partis révolutionnaires en général sont enthousiastes, souvent fanatiques, et sujets à préférer le moyen au but, à aimer le renversement pour le plaisir du renversement, la violence par goût pour la violence. On ne renonce pas aisément, une fois qu’on en a goûté, à l’ivresse de la victoire. Et c’est ainsi que les révolutions, entraînées par leurs propres exemples, s’égarent et s’emportent quelquefois jusqu’à leur perte, autorisant d’avance, encourageant du moins les représailles de leurs ennemis. Les attentats des réactions sont le talion des révolutions. Honneur aux révolutions qui s’arrêtent d’elles-mêmes !

Il y a des extrémités que sut s’interdire la révolution anglaise ; cependant la crainte d’une restauration, le danger d’une transaction sans garantie, l’amour de la domination, l’ardeur de la victoire, et plus que tout, la passion des esprits absolus pour la novation radicale et les changemens illimités, poussèrent les indépendans contre le parlement et le roi. C’étaient les deux grandes institutions légales ; l’une et l’autre, quoique dénaturées ou mutilées par les événemens, représentaient encore le régime passé, et rappelaient le système abusif contre lequel on s’était légitimement soulevé. Trop souvent dans la