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et avec une simplicité que trouvaient niaise bien des grands et sages hommes, hommes honnêtes aussi, je désirais me faire des instrumens propres à m’aider dans mon œuvre. Et je vous parle tout naïvement, j’avais alors un bien digne ami, et c’était une noble créature, et je sais que sa mémoire est chère à tous, — M. John Hampden. À mon premier pas dans notre entreprise, je vis que nos hommes étaient battus à tout coup. Oui, je vis cela, et je lui demandai de faire à l’armée de lord Essex l’addition de quelques nouveaux régimens. Et je lui dis que je lui serais utile en engageant des hommes capables à mon idée de faire quelque chose pour notre entreprise. C’est très vrai ce que je vous dis, Dieu sait que je ne mens pas. « Vos troupes, lui dis-je, sont composées en majeure partie d’hommes de service vieux et usés, de cabaretiers et autres gens de même sorte, et, ajoutai-je, leurs troupes à eux sont des fils de gentilshommes, des cadets, des gens de qualité. Pensez-vous que les cœurs de toute cette espèce infime et vulgaire soient jamais de force à leur faire affronter des gentilshommes » qui ont en eux honneur, courage et résolution ? » Réellement je lui fis ces représentations en conscience, et je lui dis en toute sincérité : « Il vous faut avoir des hommes d’un cœur, — et ne prenez pas mal ce que je dis… je sais que vous ne le prendrez pas mal, — d’un cœur à les faire aller en avant aussi loin qu’iront les gentilshommes, ou vous serez encore battus. » Je lui parlai ainsi, oui, en vérité. C’était un sage et digne personnage, et il pensa que je lui donnais une bonne idée, mais une idée impraticable. Vrai, je lui dis que je pourrais en exécuter quelque chose. Je le fis, je fis quelque chose, et vraiment, il faut, c’est nécessaire que je vous le dise, le résultat fut… attribuez-le à ce que vous voudrez… que je levai des hommes qui avaient devant eux la crainte de Dieu, qui eurent quelque conscience de leur œuvre ; et de ce jour, je dois vous le dire, ils n’ont jamais été battus, et partout où on les a engagés, ils ont battu l’ennemi sans exception. Et en vérité c’est grand sujet de louer Dieu…, et il y a aussi en cela quelque enseignement, c’est qu’il faut soutenir les hommes qui sont religieux et selon Dieu. »


Devenu protecteur, Cromwell tirait de là cette conclusion, qu’il fallait le reconnaître et le seconder. Il est vrai qu’au début de sa carrière de commandement, il avait deviné que l’enthousiasme puritain pourrait valoir l’honneur militaire, que l’austérité du sectaire pourrait remplacer la discipline du soldat, et qu’il fallait pour vaincre faire tourner au profit de l’énergie guerrière les passions séditieuses elles-mêmes. Il conçut et il accomplit l’organisation d’une armée révolutionnaire. C’était une force incomparable qu’il donnait à sa cause et à son ambition. Tandis qu’il formait cette cavalerie de saints à qui il interdisait sous de rudes peines le blasphème et la fuite, il apprenait lui-même d’un vétéran des guerres d’Allemagne la manœuvre, le commandement, le métier. Il se rendait le plus propre de tous à diriger l’arme redoutable qu’il venait de créer. Il ne négligeait pas un péril qui pût ajouter à son expérience et à sa renommée. Où est maintenant l’agriculteur, le mystique,