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profondément naïve et spontanée ; elle jaillit de l’âme d’une race comme une flamme d’un foyer invisible. Sous une forme simple et ingénue, c’est le résumé de l’existence d’un peuple, de ses luttes, de ses malheurs, de ses exaltations, de ses instincts les plus vivaces, de ses sentimens les plus chers. La poésie populaire est comme l’idéalisation de la vie nationale et domestique par les événemens qu’elle raconte, par tout cet ensemble de mœurs, de croyances et d’usages qu’elle reproduit dans des chants répétés au grand jour des réunions publiques ou le soir dans le foyer ; mais comment naît-elle ? quelle est sa manière de se manifester ? Le mystère plane d’habitude sur son origine, presque toujours elle est anonyme, et rien n’est plus difficile que de retrouver le nom de quelqu’un de ces rapsodes qui puisa un jour son inspiration dans la conscience populaire. Sans nul doute, dans leur conception première, ces chants passionnés et simples sont l’œuvre de quelque imagination individuelle particulièrement douée ; mais à peine sont-ils nés, l’auteur qui leur a donné la première forme disparaît, la tradition s’en empare, les conserve, les popularise, les propage,

— jusqu’à ce qu’il vienne un instant où ces fragmens recueillis et fixés se trouvent être, en même temps qu’un vaste dépôt poétique, les élémens les plus précieux pour aider à l’intelligence de tout un pays et de toute une époque ; c’est par là que la poésie est vraiment populaire, c’est-à-dire qu’elle est tellement imprégnée de l’esprit et de la vie morale d’une race, qu’elle semblerait dictée par le génie voilé de cette race elle-même. Tel est le Romancero, épopée de la vie guerrière et chevaleresque de l’Espagne : tels sont les chants populaires de la Bretagne dans leur dramatique et naïve simplicité. Le même caractère se révèle dans les chants de la Grèce moderne, fragmens longtemps dispersés et répétés à Scio, à Samos, dans les solitudes du mont Olympe.

En est-il ainsi de l’œuvre nouvelle de ces rapsodes qui peuvent passer à bien des titres pour représenter la poésie populaire contemporaine ? Ils sont du peuple par leur origine, par les habitudes de leur vie, — ce qui ne les range point heureusement dans ces catégories de poètes ouvriers si singulièrement créées de nos jours, comme s’il y avait de la poésie d’ouvriers et de la poésie d’hommes qui ne sont pas ouvriers. Les scènes qu’ils décrivent, les mœurs qu’ils dépeignent, les sentimens qu’ils expriment le plus souvent sont du peuple ; c’est du peuple encore qu’ils reçoivent leur instrument, leur langue, une langue rustique et imagée. Rien donc ne semblerait leur manquer en apparence ; il y a seulement dans leurs vers quelque chose de plus que dans la poésie populaire : l’empreinte individuelle, la marque de l’homme qui trouve en lui-même les secrets d’un art délicat et recherché. C’est une poésie qui a un nom : elle s’appelle