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La seconde forme sous laquelle se montre le héros est celle du prophète. Il n’est plus Dieu, mais inspiré de Dieu. Tel est Mahomet, non pas le plus vrai des prophètes, mais un vrai prophète. La race arabe n’est-elle pas une grande race, et ne croit-elle pas en lui ? L’islam ne couvre-t-il pas une vaste partie du monde ? L’imposture et la ruse n’inspirent point une foi si puissante, ne conquièrent pas un empire si étendu. Tout grand homme est sincère ; il a une œuvre à faire, et il y croit. Les fautes ne peuvent être jugées si l’on ne connaît le fond du cœur, si l’on n’est dans le secret des motifs, des tentations, des combats, des remords. La plus grande de toutes les fautes est de croire qu’on n’en fait pas. Puis vient une apologie du mahométisme. C’est une sorte de christianisme incomplet, La sensualité qu’on reproche au Coran n’est que la participation aux mœurs de l’Orient. Si Mahomet a prêché le glaive en main, n’est-ce pas ainsi que Charlemagne a converti les Saxons ? Ce qu’il faut estimer dans l’islamisme, c’est qu’il est une religion exempte de cant et de dilettantisme. Le cant est, comme on sait, l’affectation hypocrite des sentimens et du langage, c’est la pruderie de la religion, et ce que l’auteur appelle le dilettantisme est cette curiosité d’amateur, cette coquetterie d’esprit qui choisit dans les dogmes et dans les doctrines, et cherche, à force de distinctions et de subtilités, à éviter tout excès, à écarter toute objection, à épurer enfin la vérité. Dieu me pardonne, je crois que par dilettantisme M. Carlyle entend quelque chose comme la philosophie.

Mais le Dieu et le prophète n’appartiennent qu’aux vieux âges. Le poète est de tous les âges. C’est la troisième incarnation des héros. Il y a en lui du vates comme dans le prophète ; mais tandis que le vates prophète a en vue le bien et le devoir, le vastes poète considère principalement le beau. Il faut qu’il y ait de tout dans le poète. Comment chanterait-il le héros guerrier, s’il n’y avait en lui du guerrier, et ainsi du reste ? S’il y a de la poésie dans Napoléon ou Mirabeau, comment n’y aurait-il rien que de la poésie dans le Dante ou Shakspeare ? Quel Mirabeau Burns aurait pu être ! C’est que la poésie est infinie comme la musique. Elle se personnifie éminemment dans les deux grands hommes qui viennent d’être nommés. L’un est une flamme ardente, agitée, terrible comme le feu central de la terre ; l’autre, une lumière vive et limpide comme l’astre du jour. Les poèmes de Dante sont une représentation emblématique de sa croyance touchant cet univers. Son christianisme est tout autre chose que le paganisme du Nord, que le christianisme bâtard de Mahomet. Il a été envoyé pour incorporer musicalement (embody musically) la religion du moyen âge. Shakspeare est le produit du catholicisme qui l’a précédé, sans en être le chantre spécial. Jamais dans les voies