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Guillaume III, si l’on veut même au général Washington, parce qu’il est de cette race d’hommes supérieurs chez qui domine le bon sens pratique, mais très inférieur à tous les trois, au dernier surtout, et pour l’honnêteté de la cause, et pour l’honnêteté de l’esprit, et pour la grandeur de l’âme, il est plus qu’aucun d’eux armé du précieux et redoutable don de s’emparer des imaginations, Bien différent cependant de l’homme extraordinaire qui tenait parmi nous à injure de lui être comparé, et dont il n’égalait pas sans doute l’étendue d’esprit, la richesse d’idées, la variété de talens, il pouvait lui disputer le prix de ces deux grandes choses, la volonté et l’activité. Placé sur un théâtre plus étroit et moins élevé, où la manière irrégulière et pour ainsi dire démesurée de Napoléon eût été hors de sa place, ses moyens étaient admirablement en proportion avec la scène où il figurait et non moins bien adaptés aux spectateurs qui l’environnaient. Sa tâche était moins grande, mais elle ne l’a pas accablé. Aux hommes qui ont été tout ce que voulait leur temps, qui se sont montrés par eux-mêmes et non par hasard au-dessus des périls et des obstacles dans un temps difficile, il n’y a rien à demander de plus. À ces hommes dont le caractère et la cause sont loin d’être irréprochables, et qui sont obligés de plaider le génie comme excuse, le génie ne suffit pas, il faut encore le succès. Qui de Napoléon ou de Cromwell a réussi ?

Cependant on peut dire que jusque dans ces derniers temps la sagesse anglaise, qui ne juge pas les hommes de gouvernement avec l’imagination, mais avec le bon sens, qui, avec le génie et le succès, exige encore la durée, et qui au-dessus de tout cela met l’intérêt suprême de la liberté publique, est loin d’avoir trop exhaussé le piédestal de la statue de Cromwell. Elle ne lui a guère accordé que stricte justice, ou cette estime craintive, dépourvue d’approbation morale, qu’arrache aux sages mêmes le talent de créer de vive force un gouvernement. Aucun grand monument historique n’a été élevé à Cromwell. Hume a laissé beaucoup à dire après lui. Il ne comprenait ni les révolutions, ni la Bible. La biographie écrite par Southey le poète offre une narration intéressante qui a rendu l’ouvrage populaire ; mais la politique en est faible et banale. Il y a plus d’instruction à puiser dans la vie de Cromwell de M. John Forster. La pensée en est plus libre et plus forte, et les détails curieux y abondent ; mais le récit pourrait être plus animé, et la politique de l’auteur, élevée, mais étroite, ne sera pas approuvée de tout le monde. Enfin on peut dire que, malgré quelques traits esquissés par un grand peintre dans le roman de Woodstock, le portrait de Cromwell restait à faire dans son pays, lorsque Thomas Carlyle a publié son ouvrage.

À la première vue, cet ouvrage n’est qu’une compilation. Lettres