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ceux qui se disaient ses maîtres légitimes ou ses alliés les prenaient pour auxiliaires. M. Cantu blâme en termes amers la destruction de la république de Venise ; mais il n’oublie qu’une chose essentielle, c’est qu’au moment même où cette république prodiguait à la France des assurances d’amitié, elle complotait à Vérone le massacre de nos soldats. Le rôle et l’influence de la France dans les événemens qui se sont accomplis récemment sont aussi parfois l’objet de reproches non moins immérités. Ainsi, dans le chapitre intitulé les Espérances de l’Italie ; chapitre écrit d’ailleurs avec une verve remarquable, l’auteur de l’Histoire de cent ans, en énumérant les différens systèmes qui se sont produits de notre temps sur l’organisation de l’unité italienne, parle des opinions de Balbo et de Gioberti, qui voulaient fonder une fédération dont Rome eût été le cœur et le Piémont l’épée, et il ajoute que le grand obstacle à la réalisation de ce projet fut l’influence des idées françaises, hostiles à la royauté et à l’église. Puis, quelques pages plus loin, dans le chapitre intitulé Revers des Italiens, il se charge lui-même d’absoudre la France, en disant que ceux qui marchaient en tête du mouvement avaient oublié d’apprendre au peuple la nécessité des grands sacrifices. Il ne s’agit point ici des sacrifices imposés par la lutte des champs de bataille, car à Milan. à Venise, à Brescia, l’Italie a noblement prouvé que ses enfans savaient combattre et mourir ; il s’agit surtout du sacrifice des vieilles rancunes, des divisions intérieures, des discordes guelfes et gibelines, des rivalités des grandes villes et de celles des petits états ; ce sacrifice, que demandait Napoléon, l’Italie en a-t-elle compris la nécessité ? Non certes, et pour s’en convaincre, il suffit de citer les deux chapitres que nous venons d’indiquer. On y voit se produire l’un à côté de l’autre les systèmes les plus contradictoires, et, il faut le dire aussi, les plus bizarres, car des écrivains qui ont joui pendant quelque temps d’une grande influence sur les affaires de leur pays ont été jusqu’à proposer d’offrir à l’Autriche des provinces turques comme dédommagement dans le cas où elle viendrait à perdre la Lombardie. Le secret des revers de l’Italie est là tout entier en quelques pages, comme le secret de son indépendance et de son unité est dans ces nuits de Napoléon : « Restez unis. »

Les jugemens de. M. Cantu sur la littérature française au XIXe siècle, et principalement sur les écrivains contemporains, ont donné lieu, comme ses jugemens politiques, à de nombreuses rectifications de la part de son traducteur, M. Renée. La critique de l’historien italien est souvent, malgré sa forme très-affirmative, indécise et vague ; le traducteur, dans ses notes, le ramène à des données plus précises, et sur bien des points il le combat vivement. Quand M. Cantu frappe d’un blâme sévère un grand nombre de nos romans et de nos drames, quand il fait peser sur quelques-unes de ces compositions la responsabilité la plus grave, et qu’il les rend complices de la désorganisation sociale à laquelle nous avons assisté, M. Cantu a trois fois raison ; mais il n’en est pas de même en ce qui touche les autres branches de notre littérature : ici, nous devons le dire. M. Cantu se montre d’une extrême partialité, ce qui fournit à son traducteur l’occasion de notes pleines de justesse. Ainsi, dans une note du chapitre intitulé : École romantique, M. Renée se demande pourquoi, après avoir cité longuement une foule de poètes qui sont à peine connus dans leur patrie, M. Cantu s’abstient, lorsqu’il