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Les neiges perpétuelles qui couvrent les sommets des hautes montagnes et dont la fonte alimente abondamment les rivières n’ont point d’autre origine. L’air soulevé à ces grandes hauteurs se refroidit tellement qu’il y dépose non-seulement de la pluie, mais même de la neige. Aussi les rivières dont la source remonte jusqu’aux neiges perpétuelles ont-elles une crue d’été provenant de la fonte de ces neiges, comme une crue d’hiver résultant des pluies de cette saison. Sans entrer dans les théories physiques où l’on trouverait la raison du froid qui accompagne l’expansion de l’air qui, poussé par le vent, aborde les sommets des montagnes, nous citerons l’expérience des mines de Schemnitz, où l’air humide jaillit d’un réservoir dans lequel il est fortement comprimé. Au sortir du robinet qui lui donne issue, cet air, débarrassé de la pression énorme qui pesait sur lui, se dilate tout à coup avec un sifflement intense. Au moment où il sort, et près de l’orifice du robinet, le courant d’air est encore transparent et invisible. Un peu plus loin, il s’est dilaté et refroidi, et c’est déjà un nuage ou brouillard. Plus loin encore et plus dilaté, il donne les gouttes d’eau d’une véritable pluie. Enfin, quand il a pris toute son expansion, il laisse échapper de la neige et de la glace qui s’attache aux corps qu’on lui présente. Ainsi une masse d’air transparente dans la plaine et poussée par le vent de bas en haut le long des flancs d’une montagne devient nuage à une certaine hauteur. Cette masse, à une hauteur plus grande, donne de la pluie, et si la montagne est assez haute, elle en couvre le sommet d’une couche de neige. Pour ne laisser rien d’indécis dans une si importante question, je dirai que M. le colonel d’état-major Rozet, dans ses admirables travaux géodésiques des Pyrénées, a bien voulu, à ma prière, s’assurer expressément que l’air poussé par le vent se refroidit considérablement en montant le long des pentes des flancs des montagnes. Ayant placé deux observateurs munis de thermomètres, l’un en bas, l’autre en haut d’une vaste pente bien graduée et par un vent bien constant et bien réglé, il a vu que l’air, en passant de la station inférieure à la station supérieure, baissait d’un grand nombre de degrés. Ainsi cette belle et concluante observation montre que sans théorie aucune, sans avoir recours à des expériences de cabinet d’une assimilation contestable, en l’absence de tout nuage, sans autre influence que l’ascension de l’air, celui-ci se refroidit considérablement, et dans les premières hauteurs ce refroidissement, comme nous l’avons déjà dit, est d’environ 3 degrés pour 200 mètres. Nous regarderons donc désormais les montagnes et en général toutes les causes de soulèvement des masses atmosphériques comme la cause du refroidissement de ces masses et de la pluie et de la neige qu’elles déposent. Avec ces principes et la connaissance des vents régnans dans chaque région du globe, nous sommes en mesure d’en reconnaître l’arrosement universel.

Tout le monde sait que dans la zone torride, de part et d’autre de l’équateur et entre les deux tropiques, il règne un vent d’est constant, lequel est connu sous le nom de vent alisé. Ce courant aérien, après avoir balayé l’Atlantique en allant de l’Europe et de l’Afrique jusqu’à l’Amérique tropicale, arrive à l’immense bassin de l’Amazone, qu’il remonte jusqu’à la Cordillère du Pérou. En s’élevant à l’immense hauteur de celle barrière, qui va du nord au sud, il dépose presque toute son humidité, et le résultat de ce dépôt, ce